Le Râmâyana
de Vâlmîki
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
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Bhâgavata Purâna, ou Histoire poétique de Krichna, tome V. Suite de cette publication commeucée par Eug. Burnouf et continuée par Hauvette- Besnault. Grand in-8°.
Cosmologie hindoue, d'après Je Bhâgavata Puràna, in-12.
De la Prière chez les Indous, in-8°.
Légendes morales de l'Inde, empruntées au Bhâgavata Purâna et au Mahàbhàrata, 2 vol. petit in-8° écu, cartonnés.
Le Ramayana de Valmîki, lre partie : Bàlakànda et Ayodhyàkànda. Tome VI de la Bibliothèque Orientale. Grand in-8°.
BIBLIOTHÈQUE ORIENTALE
TOME VII
Le Râmâyana
de Vâlmîki
TRADUIT EN FRANÇAIS
ALFRED ROUSSEL
DE h ORATOIRE
II
Aranyakânda, Kiskindhâkânda et Sundarakânda
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE MAISONNEUVE FRÈRES *, ÉDITEURS
3, RUE DU SABOT
Freer Gallery of Art Wasbiiqton, D. C.
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ARANYAKANDA
SARGA Ie1
RECEPTION DE RAMA PAR LES SOLITAIRES DE DANDAKA
1. Lorsqu'il s'enfonça dans la grande forêl de Dandaka, Râma, maître de lui-même, invincible, aperçut un cercle de huttes monacales,
2. Couvertes d'herbes Kuçaset d'écorce. Un éclat brahmanique auréolait (cet ermitage) ; telle la splendeur, que le regard ne saurait fixer, du disque solaire, dans le ciel.
3. Asile de tous les êtres, (celte solitude) aux pelouses toujours parfaite- ment nettes, était peuplée de gazelles nombreuses; les volées d'oiseaux y foisonnaient.
4. Elle était égayée par les danses continuelles des troupes d'Apsaras. On y voyait de spacieuses salles pour le feu sacré; des cuillers et (autres) ustensiles (du sacrifice), des peaux, des herbes Kuças,
o. Des Samidhs, des cruches d'eau, des fruits et des racines. Elle était plantée d'arbres forestiers, énormes, chargés de fruits sains et savoureux.
6. Les offrandes et les libations sanctifiaient ce lieu retentissant des hymnes védiques. Il élaitjapissé de fleurs de toute sorte et creusé d'un étang couvert de lotus.
7. C'était le séjour d'anciens ermites qui se nourrissaient de fruits et de
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2 RAMAYANA
racines, les sens domptés, velus d'éeorces et de peaux (d'antilopes) noires, semblables à Sûrya et à Vaiçvânara.
8. De pieux et suprêmes Rïshis, vivant d'abstinences, l'illustraient. Pareil au séjour de BralimA, (cet ermitage) élait rempli du chant d'hymnes vé- diques.
9. Des Brahmanes instruits dans les Védas, riches (en mérites), l'em- bellissaient (de leur présence). A l'aspect de cette laure monacale, le fortuné Râghava
10. S'avança, brillant de majesté, son grand arc détendu. A la vue de Râma, les grands Rïshis, doués de la science divine,
11. Marchèrent au-devant de lui, pleins de joie, et au devant de la belle Vaidehî. Ces (solitaires), lorsqu'ils aperçurent le (héros) vertueux qui ressemblait à Soma, quand il se lève,
12. En le voyant avec Lakshmana et Vaidehî étincelanle de beauté, ces (ascètes) aux vœux rigides l'accueillirent par des paroles de bienvenue.
13. A l'aspect de la beauté plastique de Râma, de sa majesté, de sa jeu- nesse, de son élégant costume, les ermites exprimèrent sur leur physio- nomie un grand étonnement.
14. Vaidehî, Lakshmana, Râma, tous ces ermites les contemplaient comme des merveilles, sans oser, pour ainsi dire, cligner les paupières.
15. Puis, ces fortunés (ascètes) qui se plaisaient dans le bien de tous les èlres, introduisirent leur hôte, Râma, dans une hutte de feuillage.
16. Là, rendant à Râma les devoirs prescrits, ces fortunés et vertueux (moines), semblables à Pâvaka, lui apportèrent de l'eau.
17. Ils lui souhaitèrent la bienvenue pleins de la joie la plus vive, et lui offrirent racines, fleurs, fruits, tout leur ermitage, à (ce) magnanime (héros).
18. Puis, après s'être ainsi mis à sa disposition, ces (solitaires), instruits dans la loi, firent l'Anjali et lui dirent : 11 est le défenseur des droits de son peuple, son asile glorieux ;
19. Il est digne d'honneurs et d'estime, le roi, celui qui porte le sceptre, le Gourou ; il est comme la quatrième portion d'Indra, et le protecteur de ses sujets, ô Râghava.
20. Aussi, le roi jouit-il des plus grands, des plus précieux privilèges, et le comble-t-on d'hommages. Sois notre protecteur, nous vivrons sous ton pouvoir; à la ville ou dans la forêt, sois notre roi, le maître du monde.
21. Nous avons renoncé à la vengeance, ô prince; nous avons dompté la
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colère et maîtrisé nos sens. Protège-nous toujours dans notre ascétisme, comme (la mère) l'enfant qu'elle porte en son sein.
22. Aces mots, ils offrirent en hommage à Râghava que Lakshmana accompagnait des fruits, des racines, des fleurs et toute sorte d'autres ali- ments sylvestres.
23. Quelques ascètes, arrivés à la perfection, semblables à Vaiçvànara cl observateurs de la règle, honorèrent, suivant les rites, le Seigneur Rama.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vdlmîki, le Rïshi, Le premier Sarga de l'Aranyakânda.
SARGA II
LE RAKSHASA YIRADHA ENLEVE S1TA
1. Après avoir reçu l'hospitalité, Rama, au lever du soleil, salua tous les Munis et s'enfonça dans la forêt,
2. Pleine de toutes sortes d'antilopes, fréquentée des ours et des tigres, couverte d'arbres, de lianes et de buissons, (brillante de l'éclat) aveuglant
des lacs,
3. Retentissante du gazouillement des oiseaux, et du cricri d'une multi- tude de grillons. Suivi de Lakshmana. Râma fouillait du regard le milieu de la forêt.
4. Accompagné de Sîtâ, Kâkutstha, dans ce (bois) rempli de fauves re- doutables, aperçut, pareil à la cime d'une montagne, un anthropophage à la voix puissante.
5. L'orbite cave, la bouche large, gros, le ventre énorme, hideux, dif- forme, long, contrefait, d'un horrible aspect,
6. Vêtu d'une peau de tigre, humide de graisse, ruisselant de sang ; c'était l'effroi de tous les êtres. On eût dit Antaka (s'avançant) la bouche ouverte.
7. Trois lions, quatre tigres, deux loups, dix gazelles mouchetées, une tête énorme d'éléphant avec ses défenses et d'où la graisse suintait,
8. Pendaient à son épieu de fer ; il poussait de grands cris. A l'aspect de Râma, de Lakshmana et de Sîtâ, la princesse du Mithila,
9. 11 se rua sur eux plein de fureur, comme (fond) sur les êtres Kâla qui met fin (à tout). Jetant une terrible clameur qui fit comme trembler la terre,
10. Il saisit Vaidehî entre ses bras et s'éloigna en disant : Vous deux qui portez la tresse et le vêtement d'écorce, et qui êtes accompagnés de votre épouse, vous dont va finir l'existence,
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11. Qui pénélrez dans la forêl Dandaka armés de traits, d'arcs et d'épées, d'où vient que vous, ascètes, vous séjournez ici avec une femme?
12. Pervers, méchants, qui donc êtes-vous, ascètes de malheur? Moi je suis le Râkshasa Virâdha et celte forêt inaccessible,
13. Je la parcours sans cesse avec mes armes, pour me nourrir de la chair d'ascètes. Celte lemme aux belles formes sera mon épouse.
14. Pour vous deux, scélérats, je boirai votre sang dans le combat. Celte parole cruelle et audacieuse de Virâdha à l'âme perverse,
15. Lorsqu'elle l'entendit, effrayée, la fille de Janaka, Sîtâ, dans son épou- vante, trembla comme au souffle de l'ouragan la Kadalî.
16. Râghava, à l'aspect de la belle Sîlà que Virâdha emportait dans son giron, dit à Lakshmana, le visage défait :
17. Ami, vois la fille du roi Janaka, mon épouse resplendissante de beauté, que Virâdha lient entre ses bras,
18. Elle, celte glorieuse princesse élevée au sein d'une constante félicité ! Ce qu'elle avait souhaité qui nous arrivât, le vœu qui lui était cher,
19. Kaikeyi l'obtient complètement et sans larder, aujourd'hui même, Lakshmana. L'intronisation ne lui suffit pas pour son fils, à (cette femme) aux longues visées.
20. Elle me fait reléguer dans la forêt, malgré l'amour universel (des peuples) pour moi. Maintenant, la voilà (qui sera) satisfaite, elle qui tient le milieu parmi mes mères.
21. Le rapt de Vaidehî est le plus grand de mes malheurs; (il est pire) que la mort de mon père, ô Saumitri, et que la perte de la cou- ronne.
22. A ces paroles de Kâkutstha, Lakshmana, noyé de larmes de douleur, répondit en colère et soufflant comme un reptile blessé.
23. Pourquoi le désoler comme si tu étais sans défenseur, loi le défenseur des êtres, l'émule de Vâsava, lorsque je suis à ton service, ô Kâkutstha ?
24. Frappé_à l'instant du trait que (je vais lui lancer) dans ma fureur, le Rakshas Virâdha va périr, et la terre boire son sang.
25. Le courroux que je ressentis contre Bharata pour sa compétition au trône, je le déchargerai sur Virâdha, comme le dieu qui porte la foudre (décharge) son arme sur un mont.
26. Brandi avec force par mon bras vigoureux, puisse ce dard énorme
6 RAMAYANA
atteindre son énorme poitrine! Qu'il expulse la vie de son corps et qu'il retombe alors sur le sol en tournoyant !
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le second Sarga de l'Aranyakânda.
SARGA III
COMBAT DES DEUX FRERES ET DE VIRADHA
1. De nouveau Virâtlha dit, d'une voix qui remplit la forêt : Répondez à ma question : Qui êtes-vous? Où allez-vous?
2. Râma, resplendissant de gloire, apprit au Râkshasa qui l'interrogeait, le visage enflammé, qu'il était de la race d'Ikskvâku.
3. Nous sommes deux Kshalriyas, fidèles à nos devoirs, sache-le, qui parcourons la forêt. Mais toi nous voulons l'apprendre : Qui es-tu, toi qui erres (ainsi) parmi les fourrés?
4. Virâdha répondit à Râma dont l'héroïsme formait l'essence : Eh ! bien, je vais te le dire, écoule-moi, prince issu de Raghu.
5. Je suis le fils de Java, ma mère est Çatahradâ ; Virâdha, ainsi m'ap- pellent sur la terre tous les Râkshasas.
6. Par la vertu de mon ascétisme et la faveur de Brahmâ, (j'ai) obtenu d'être invulnérable aux traits, en ce monde; on ne peut ni me déchirer, ni me fendre.
7. Laissez celte femme, et, sans vous retourner, allez-vous en, hâtez-vous, fuyez, je vous fais grâce de la vie.
8. Râma, les yeux rouges de colère, répondit au hideux Râkshasa Vi- râdha, plein de méchanceté :
.9. Misérable, maudit sois-tu pour ta perversité ; tu cherches la mort cer- tainement ; tu la trouveras dans le combat ; arrête, lu ne m'échapperas pas vivant.
10. Alors, bandant son arc, Râma y adapta promplement des traits acérés et frappa le Râkshasa.
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11. De son arc à la corde tendue, il décocha sept flèches au pied d'or, im- pétueuses, les émules de Suparna et d'Anila pour la vitesse.
12. Après avoir traversé le corps de Virâdha, ces flèches ornées (de plumes) de paon, retombèrent sur le sol sanglantes et embrasées, pareilles à Pâvaka.
13. Blessé, relâchant Vaidehî et brandissant son épieu, le Râkshasa se précipita furieux sur Rama que Lakshmana accompagnait.
14. Jetant un grand cri et saisissant son épieu qui ressemblait à l'éten- dard de Çakra, il parut, avec sa bouche large ouverte, comme (un autre) Antaka.
15. Alors les deux frères firent pleuvoir une averse de traits ignés sur Virâdha, ce Râkshasa pareil à Kâla, Antaka et Yama.
16. Le terrible Râkshasa éclatant de rire, s'arrêta et ouvrit la bouche, et par sa bouche (ainsi) ouverte, sortirent de son corps les traits ra- pides.
17. En vertu de son privilège, maintenant ses souffles, le Râkshasa Vi- râdha brandit son épieu et se jeta sur les deux Râghavas.
18. Cet épieu, étincelant comme la foudre et pareil à une flamme aérienne, avec deux traits Râma le brisa, lui, le plus habile des guerriers.
19. Rompu parles dards émoussésde Râma, l'épieu du (Râkshasa) tomba sur la terre : tel, abattu par le tonnerre, un plateau rocheux du Meru.
20. Les (Râghavas), dégainant aussitôt et brandissant leurs glaives, sem- blables à deux serpents noirs, se précipitèrent rapides sur (Virâdha) qu'ils frappèrent à grands coups.
21. Bien que blessé, leur redoutable (ennemi) les empoigna vigoureuse- ment de ses deux bras, et quoique inébranlables, il essaya de les soulever de terre.
22. Râma, devinant [son intention, dit à Lakshmana : Laissons le Râkshasa nous porter (aussi) loin sur la route (qu'il voudra).
23. 0 Sauinitri, laissons le Râkshasa nous porter à volonté ; c'est préci- sément notre chemin (celui) par où passe ce rôdeur de nuit.
24. Cependant celui-ci plein de vigueur les souleva et les chargea sur ses épaules, comme deux enfants, tout fier de sa force.
25. Ayant ainsi jeté sur ses épaules les deux Râghavas, le noctambule Virâdha poussa un (cri) terrible et s'en alla droit devant lui par le bois.
20. Il s'enfonça dans la forêt qui ressemblait à une grande nuée ; elle était plantée d'arbres immenses] de toute] sorte ; des bandes d'oiseaux d'espèces
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diverses l'égayaient (de leurs chants); les chacals y foisonnaient, elle était pleine de bêtes féroces.
Tel est, dans le vénérable Râmàyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le troisième Sarrja de l'Aranyakànda.
[h]SS.S3SSS&SS5SSS.5^ Idg! SOIS
SARGA IV
MORT DE V1RADHA
1. Lorsqu'elle vil emporter les deux Kâkulsthas, l'élite des Raghus, Sîtâ jela les hauts cris, levant de grands bras.
2. Le fils de Daçaratha, Râma, si loyal, si bon, si pur, est emporté avec Lakshmana par un Râkshasa à'I'aspect effrayant.
3. Je vais devenir la proie des ours, des tigres et des panthères! Prends-moi et laisse les deux Kâkulsthas; je t'en conjure, ô le meilleur des Râkshasas.
4. Quand ils entendirent Vaidehî parler ainsi, Râma et Lakshmana, pleins de vaillance, se hâlèrent de tuer le pervers.
5. Saumitri rompit aussitôt le bras gauche du redoutable Rakshas et Râma le bras droit.
6. Le (Râkshasa), les bras rompus, troublé, s'affaissa soudain, privé de connaissance, sur le sol, pareil à un nuage et tel qu'un mont frappé de la foudre.
7. Us criblèrent de coups de poings et de pieds le Râkshasa; puis le sou- levant à diverses reprises, ils le broyaient contre le sol.
8. Rien que frappé de traits nombreux, blessé de leurs deux glaives et précipité souvenles fois à terre, il ne mourait point, ce Râkshasa.
9. Voyant qu'il ne pouvait tuer ce géant qui ressemblait à une mon- tagne, le fortuné Râma, la sécurité de (ceux qui sont) en danger, tint ce langage.
10. En vertu de son Tapas, ô tigre des héros, ce Râhshasa ne saurait être vaincu par les armes dans le combat. Enterrons-le.
11. Comme pour un éléphant monstrueux, ô Lakshmana, creuse dans la forêt une fosse à ce Râkshasa au formidable aspect.
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12. Après avoir commandé à Lakshmana: — Creuse une fosse, — le vaillant Rama se tint debout, le pied sur le cou de Virâdha.
13. Lorsqu'il entendit celte parole, le Râkshasa Virâdha dit d'une voix humble au descendant de Raghu, à Kâkutslha, le laureau des hommes.
14. Je succombe, tigre des héros, sous les coups d'un (guerrier) dont la force égale celle de Çakra. Précédemment, dans ma folie, je ne t'ai pas reconnu, taureau des hommes.
15. Je le vois ; tu es le noble fils de Kausalyâ, cher enfant, tu es Ràma; voici la fortunée Vaidehî et l'illustre Lakshmana.
16. En vertu d'une malédiction, j'ai revêtu la forme monstrueuse d'un Râkshasa. Je suis le Gandharva Tumburu que maudit Vaiçravana.
17. Cédant à mes prières, le (dieu) plein de gloire me dit : — ■ Lorsque le fils de Daçaratha, Ràma, te vaincra dans le combat,
18. Alors, reprenant ta nature, tu reviendras au ciel. Pour lui avoir man- qué d'égards, dans sa colère, il m'avait maudit.
19. Ainsi le roi Vaiçravana (me) parla, moi qui m'étais attaché à Ram- bhâ. Grâce à toi, me voici délivré de celte malédiction terrible.
20. Je retourne dans mon séjour. Soyez heureux, fléau de l'ennemi. (Non loin) d'ici habite le vertueux Çarabhanga, riche en ascétisme.
21. (C'est) à un Yojana et demi, cher enfant, (qu'est) le grand Rïshi, éclatant comme le soleil. Va sans tarder le trouver; il te fournira les meilleures indications.
22. Après m'avoir déposé dans une fosse ô Râma, va-t-en et sois heu- reux. A l'égard des Râkshasas qui viennent à mourir, telle est la loi immuable.
23. Ceux qui sont déposés dans une fosse obtiennent les mondes éternels. — Après avoir ainsi parlé à Kâkutstha, le vaillant Virâdha, ac- cablé de traits,
24. S'en alla au ciel, en laissant là son corps. Lorsqu'il eut enlcndu cette parole, Ràghava donna Tordre à Lakshmana.
23. — Comme pour un éléphant monstrueux, ô Lakshmana, creuse à ce Râkshasa aux exploits terribles une immense fosse dans ce bois. —
26. Ainsi dit à Lakshmana le vaillant Râma : Creuse une fosse. Et il se tint debout le pied sur le cou de Virâdha.
27. Alors prenant une pioche, Lakshmana creusa une tombe fort grande près du magnanime Virâdha.
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28. Puis, soulevant avec un ahan Virâdha, aux oreilles en forme de conques, à la grande voix, il le précipita dans la fosse, pendant qu'il poussait de formidables clameurs. /
29. Le Râkshasa redoutable à la lutte, Râma et Lakshmana, tous deux bouillants de valeur, intrépides dans le combat, l'abattirent pleins de joie et le poussèrent violemment (dans la fosse), pendant qu'il jetait des cris horribles.
30. Remarquant l'impossibilité de tuer le grand Asura avec des armes tranchantes, les deux taureaux des hommes, après avoir interrogé leur extrême ingéniosité, firent périr Virâdha dans une fosse.
31. Virâdha, lui-même, le coureur de bois, désirant mourir de la main de Râma, lui avait insinué la manière de s'y prendre. — Je ne saurais périr sous les armes, — (avait-il dit).
32. A cette parole, l'idée vint à Râma de le jeter dans une fosse, et lors- qu'il tomba dans ce trou, le tout-puissant Rakshas fît retentir la forêt de ses cris.
33. Transportés d'allégresse, Râma et Lakshmana jetèrent Virâdha, en terre, dans la fosse. Ils se réjouirent, délivrés de leur frayeur, dans la vaste forêt, semblables à la. lune et au soleil fixés au ciel.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quatrième Sarga de l'Aranyakândà.
iiii^liiMliiiilIillliiiiil!
SARGA V
RAMA VISITE ÇARABHANGA
1. Lorsqu'il eut tué dans la forêt le terrible et puissant Râkshasa, Virâ- dha, embrassant alors Sîtà et la consolant, le vaillant
2. Rama dit à son frère Lakshmana, étincelant de splendeur. Dange- reuse est cette forêt inaccessible, et nous ne sommes pointdes coureurs de bois.
3. Allons vile trouver Çarabhaftga, l'ascète. Et Râghava se dirigea vers l'ermitage de Çarabhanga.
4. Arrivé près de Çarabhanga, puissant comme un dieu, l'âme purifiée par l'ascétisme, il fut témoin d'une grande merveille.
o. Le corps étincelant, semblable à Sûrya et à Vaiçvânara, monté sur un splendide char aérien, escorté des Vibudhas,
6. Ne touchant point la terre : tel lui apparut le maître des Vibudhas, le dieu (rndra) aux vêtements éblouissants, nets de toute poussière.
7. Pareils à lui étaient les nombreux et magnanimes (personnages) qui lui servaient d'escorte d'honneur. Des chevaux bais traînaient son char aérien,
8. Qu'il vit non loin de lui, brillant comme le soleil levant, sem- blable à un groupe de blanches nuées, lumineux comme le disque de la lune.
9. Il remarqua un parasol immaculé, orné de magnifiques guirlandes et deux éventails de queues d'Yacks, merveilleux, au manche d'or, d'un grand prix.
10. Deux femmes d'une rare beauté les agitaient sur la tête du dieu que les Gandharvas, les Immortels, lesSiddhasen grand nombre, les suprêmes Rïshis,
14 RAMAYANA
H. Pendant qu'il se tenait au milieu des airs, célébraient par des hymnes ravissants. Yâsava cependant s'entretenait avec Çarabhanga.
12. A l'aspect de Çalakratu, Rama dit à Lakshmana. Rama indiquant le char à son frère, lui fil contempler le prodige.
13. Ce char rayonnant, éclatant de beauté, merveilleux, vois-le donc, Lakshmana ; il brille comme le soleil au milieu des airs.
14. Les chevaux de Çakra, souvent invoqué dans les sacrifices, dont on nous a parlé, qui voyagent dans les airs, ces divins chevaux bais, les voilà certainement.
15. Et ces jeunes (guerriers), tigre des hommes, qui se tiennent autour, dans l'espace, par groupes de cent, portant des boucles d'oreilles, et l'épée à la main,
16. La poitrine développée, large, les bras gros comme des massues, vêtus d'une pourpre éclatante; on dirait autant de tigres d'un difficile abord.
17. Sur la poitrine de tous des rangées de perles flambloienl ; ils parais- sent, Saumitiï, âgés de vingt-cinq ans.
18. C'est l'âge que les Dieux gardent toujours, celui que ces tigres des héros, à l'agréable aspect, semblent avoir.
19. Reste ici un instant avec Vaidehî, Lakshmana, que je sache réelle- ment quel est le brillant (héros, assis) dans ce char.
20. Après cette parole à Saumitri : « Reste-ici », Kàkulstha s'avança vers l'ermitage de Çarabhanga.
21. Lorsqu'il vit approcher Rânia, l'époux de Çacî, prenant congé de Çarabhanga, dit aux Vibudhas.
22. Voici venir Rama; avant qu'il ne m'adresse la parole, ramenez-moi (à la maison) ; plus tard, il me verra.
23. Lorsque vainqueur, il aura atteint son but, alors, sans tarder, je le (reverrai) ; il lui faut accomplir un grand exploit, impossible à tout autre.
24. Puis ayant salué l'ascète avec déférence, le dieu qui porte la foudre et qui triomphe de ses ennemis, s'en alla au ciel sur son char attelé de che- vaux.
25. Le dieu aux mille yeux étant parti, Râghava, rejoint par (sa femme et son frère), aborda Çarabhanga qui était assis près de l'Agnihotra.
26. Après avoir embrassé ses pieds, Rama, Sîlâ et Lakshmana s'assirent, sur son invitation, à la place qu'il leur indiqua.
RAMAYANA 13
27. Interrogé par Râghava sur son entrevue avec Çakra, Çarabhanga lui apprit tout.
28. Ce (dieu) libéral, ô Rama, désire me conduire dans le Brahmaloka acquis par mon rude ascétisme et qui demeure inaccessible à ceux qui ne sont pas maîtres d'eux-mêmes.
29. Sachant, tigre des hommes, que lu étais dans le voisinage, je n'ai point voulu me rendre au Brahmaloka, avant d'avoir joui de ton ai- mable présence chez moi.
30. O tigre des héros, (prince) vertueux et magnanime, après m'être en- tretenu avec loi, je monterai (d'abord) aux trois cieux inférieurs, (puis), au plus élevé.
31. Ils sont d'une beanté impérissable, tigre des hommes, les mondes que j'ai conquis ; ces (mondes) sublimes de Brahmâ, qui m'appartiennent, ac- cepte-les.
32. A ces mots du Rïshi Çarabhanga, "le tigre des hommes, versé dans tous les Castras, Râghava répondit.
33. Moi aussi, je conquerrai tous les mondes, grand ascète, mais je veux séjourner ici dans la forêt, (comme) j'en ai l'ordre.
34. Râghava dont la puissance égalait celle de Çakra lui ayant ainsi parlé, Çarabhanga, à l'éminente sagesse, lui dit de nouveau.
35. Ici, Râma, l'illustre et vertueux Sutikshna habite jdans cet ermi- tage ; ce saint t'indiquera ce qu'il te convient de faire.
36. Remonte le cours de la Mandâkinî, Râma, celte rivière qui charrie • des flottilles de fleurs, tu arriveras (chez lui).
37. Voici le sentier, tigre des hommes; mais accorde-moi un instant de visite, jusqu'à ce que je quitte mes membres, comme un serpent sa vieille peau.
38. Alors, après avoir préparé le feu et y avoir versé du beurre clarifié, suivant les Mantras, Çarabhanga, au grand Tejas, entra dans le brasier.
39. Les poils et les cheveux de ce magnanime ascète furent consumés par les flammes, de même que sa peau ridée, ses os, sa chair et son sang.
40. Pareil à Pâvaka et redevenu jeune, Çarabhanga sortit de ce bûcher, tout brillant.
41. Les mondes des (dévols) qui entretiennent les feux sacrés, ceux des Rishis magnanimes et des Dévas', il les franchit pour monter au Brah- maloka.
1G RAMAYANA
42. Le taureau des Rïshis au sainl Karman vit dans sa demeure l'Aïeul (des mondes) et son cortège. El l'Aïeul, à l'aspect du Deux-fois-né, plein de joie : Sois le bienvenu, lui dit-il.
Tel est. dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le cinquième Sarga de l'Aranyakânda.
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SARUA VI
LES ERMITES IMPLORENT LA PROTECTION DE RAMA
1. Çarabhanga monléau ciel, les groupes d'ascètes s'étant réunis vinrent trouver le rejeton de Kakutstha, Râma au flamboyant Tejas.
2. Vaikhânasas, Vàlakhilyas, Samprakshàlas, Marîcipas, Açmakuttasen grand nombre, ascètes ne vivant que de feuilles,
3. Dantolùkhalins, Unmajjakas, Gâtraçayyas, Açayyas, Anavakâcikas,
4. Ascètes ne vivant que d'eau, ou ne se nourrissant que de vent; ceux qui couchaient en plein air, ou qui dormaient sur le sol nu,
5. Ceux qui habitaient les sommets, qui avaient les sens domptés, ceux qui ne portaient que des habits mouillés, ceux qui priaient sans interrup- tion, ceux qui s'adonnaient à un ascétisme perpétuel, ceux qui pratiquaient la quintuple mortification :
6. Tous ces ascètes, doués de la puissance de Brahmâ, affermis dans le strict Yoga, se rendirent à l'ermitage de Çarabhanga, auprès de Ràma.
7. Les vertueuses troupes de Rîshis s'étant réunies vinrent trouver Râma, l'élite des gens de bien, et lui dirent à lui qui connaissait son su- prême devoir.
8. De la race d'fkshvâku, et de la terre (entière), toi, guerrier au grand char, tu es le défenseur et le chef, comme Maghavan celui des Dévas.
9. Tu es renommé dans les trois mondes pour ta gloire et ta bravoure. La piété filiale, la droiture, la religion se retrouvent excellemment en toi.
10. Nous sommes venus près de loi, (enta qualité de prince) magnanime, instruit de tes devoirs et zélé à les remplir, pour l'adresser nos suppliques, ô Seigneur, exauce-nous.
11. Ce serait une déloyauté très grande, Seigneur, pour un souverain de
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18 RAM A Y AN A
prélever en tribu l le sixième (du revenu de ses peuples), s'il ne les pro- tégeait comme ses enfants.
12. S'il veille sur tous ceux qui habitent son royaume, comme sur sa propre vie, comme sur des fils qui lui sont plus chers même que l'existence et qu'il s'y dévoue constamment,
13. Il acquiert une gloire qui dure de longues années, ô Rama, et il va (ensuite) au séjour de Brahmâ où il occupe un rang élevé.
14. L'éminente sainteté de l'ascète qui ne vit que de racines et de fruits n'est que le quart (de celle) du roi qui gouverne ses sujets suivant la loi.
13. Cette grande foule de Brahmanes d'élite qui vivent dans la forêt, (sois) le protecteur qui leur manque, ô Ràma, pour les défendre contre les cruelles persécutions des Râkshasas.
16. Viens et vois les cadavres des Munis, maîtres d'eux-mêmes, tombés en grand nombre et souvent, dans la forêt, sous les coups des Râkshasas barbares.
17. Ils font un grand carnage des peuples qui habitent la ri- vière de la Pampa, le long de la Mandâkinî, et de ceux qui vivent sur le Citrakûta.
18. Nous ne pouvons plus supporter la situation terrible faite aux ermites de la forêt par les Rakshas aux cruels exploits.
19. Aussi nous réfugions-nous sous ta protection : défends-nous, ôRâma, contre ces rôdeurs de nuit qui nous massacrent.
20. Nous n'avons pas d'autre asile que toi sur la terre, vaillant prince ; sauve-nous tous des Rakshas.
21. Lorsqu'il les eut entendus, le vertueux Kâkutstha répondit à tous ces ascètes riches en Tapas.
22. Ne me tenez pas un tel langage, je suis aux ordres des ascètes. C'est uniquement pour remplir mon devoir que je suis entré dans la forêt.
23. C'est pour vous délivrer des vexations des Râkshasas et sur l'ordre de mon père que je me suis enfoncé dans ce bois.
24. C'est dans votre intérêt et pour votre bonheur que je suis venu ici par hasard. Mon séjour dans la forêt (vous) sera très profitable.
25. Je veux tuer dans le combat les ennemis des solitaires, les Râksha- sas. Soyez témoins, Rïshis adonnés à l'ascétisme, de ma vaillance et de celle de mon frère.
26. Après leur avoir accordé ce qu'ils désiraient, le héros, affermi dans
RAMAYANA I <j
le devoir, accompagné de Lakshmana, se rendit auprès de Sutîkshna avec les anachorètes qui le comblaient d'honneurs.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rishi, Le sixième Sarga de V Aranyakânda.
SARGA VII
ENTREVUE DE RAMA ET DE SUTIKSHNA.
1. Râma, fléau de ses ennemis, accompagné de son frère et de Sità, se ren- dit à l'ermitage de Sutîkshna avec ces Deux-fois-nés.
2. Après avoir fait un long chemin et franchi des rivières aux eaux abon- dantes, il aperçut une splendide montagne qui se dressait comme le grand Meru.
3. Les deux Râghavas, l'élite des Ikshvâkus, s'enfoncèrent toujours (plus avant) avec Sîtâ dans une forêt aux arbres de tout genre.
4. Entré dans (cette) forêt redoutable, aux nombreux arbres chargés de fleurs et de fruits, (Râma) vit dans un endroit solitaire un ermitage orné de guirlandes d'écorce.
5. Là était assis, portant un lotus, le moine Sutîkshna, riche en ascétisme. Râma (l'aborda) suivant l'usage, et lui dit.
6. Je suis Râma, ôRienheureux, venu pour te voir. Daigne me parler, ver- tueux et illustre Rïshi, dont la sainteté forme l'essence.
7. Le sage, apercevant Râma, l'élite des gens de bien, le serra dans ses deux bras et lui parla ainsi.
8. Sois le bienvenu, ô le meilleur des Raghus, Râma, l'élite des hommes vertueux; cet ermitage où tu viens d'entrer semble désormais avoir un protecteur.
9. Je t'attendais, illustre héros ; c'est pourquoi je ne suis point monté au Devaloka, en laissant mon corps sur la terre.
10. Tu es arrivé au Citrakûta, banni de ton royaume, m'a-ton appris O Kâkutstha, le roi des Dieux, Çalakratu, est venu ici.
11. Et en rn'abordant, le dieu Mahâdeva, le chef des Suras, me dit que j'avais conquis tous les mondes par mon saint Karman.
RAMAYANA 21
12. Ces privilèges des divins Rïshis, acquis par mon Tapas, je te les cède; jouis-en avec Ion épouse et Lakshmana.
13. A ce glorieux et grand Rïshi, au rude ascétisme, au loyal langage, Râma, maître de lui-même, répondit comme à Brahmâ Vâsava.
14. Moi aussi je conquerrai personnellement les mondes, illustre Muni; cependant je désire, suivant l'ordre que j'en ai reçu, habiter cette forêt.
15. — Sois heureux partout, toi qui te plais au bien de tous les êtres. — Tel fut le langage de Çarabhanga, le Gautama à la grande âme.
10. A ces paroles de Râma, le grand Rïshi, fameux dans l'univers, reprit agréablement, dans sa vive allégresse.
17. Jouis de cet ermitage, ôRâma ; il est excellent; des troupes de Rïshis le fréquentent; en tout temps on y cueille des racines et des fruits.
18. Des troupeaux de gazelles superbes viennent dans cet ermitage où l'on évite de les tuer, et s'en retournent quand il leur plaît, en toute sécu- rité.
19. Il n'y a point d'autre inconvénient ici que celui qui pourrait venir des gazelles, sache-le. — A ces mots du grand Rïshi, le frère aîné de Lakshmana,
20. Le vaillant (prince) dit, en saisissant son arc et ses flèches, : 0 très fortuné (Rïshi), ces troupeaux de gazelles qui s'assemblent (en ce lieu),
21 . Si je les tuais de mon arc et de mes flèches acérées, aux nœuds lisses, (et) que lu fusses jugé responsable, que pourrait-il m'arriver de plus pé- nible?
22. Dès lors, je ne puis faire un long séjour dans cet ermitage. — Ayant ainsi parlé, Râma se tut et s'occupa de la cérémonie du soir.
23. Puis, à la dernière heure du crépuscule, il se disposa à passer (la nuit) dans le ravissant ermitage de Sutîkshna avec Sîtâ et Lakshmana.
24. Le magnanime Sutîkshna, à la fin du crépuscule, quand il vit la nuit, distribua de ses mains, à ces deux taureaux des hommes, le riz mondé, nour- riture habituelle des ascètes, et les traita de son mieux.
Tel est, dans le vénérable Râmmjana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le septième Sarga de V Aranyakânda.
SARGA VIII
RAMA PREND CONGE DE SUTIKSHNA
1. Râma que Saumîtri accompagnait, comblé ainsi d'honneurs par Su- tîkshna, passa la nuit clans ce lieu. A l'aube, il s'éveilla.
2. S'étant levé à ce moment ainsi que Sîlâ, Râghava fit ses ablutions avec de l'eau très froide, au parfum d'Utpalas.
3. Vaidehî, Rârna et Lakshmana invoquèrent Agni et les Suras à la pointe du jour, suivant les rites, dans ce bois, asile des anachorètes.
4. Lorsqu'ils virent se lever le soleil, leurs souillures (ainsi) effacées, ils allèrent trouver Sulîkshna et lui dirent aimablement.
5. Tu nous as généreusement hébergés et comblés d'honneurs. Nous te prions de nous laisser partir; les ascètes nous pressent.
6. Nous avons hâte de faire le tour entier des ermitages que les Rïshis aux saintes mœurs occupent dans la forêt Dandaka.
7. Nous désirons prendre congé (de toi) avec ces taureaux des Munis, constants dans le devoir, purifiés par l'ascétisme, pareils à des feux sans panaches (de fumée).
8. Avant que le soleil ne dégage une chaleur insupporlable et une lu- mière trop vive, à l'instar de l'homme parvenu par une voie illégitime à la suprématie et privé de famille,
9. Nous voulons partir. Ce disant, Ràghava se prosterna aux pieds de l'ascète, avec Saumitri et Sîtâ.
10. Le taureau des Munis, relevant les deux (héros) qui lui baisaient les pieds, les pressa fortement sur (son cœur) affectueux et (leur) tint ce lan- gage.
RAMAYANA 23
11. Va ton chemin sans obstacle, ô Râma, dans la compagnie de Sau- mitri et de celte Sj ta qui te suit comme l'ombre.
12. Visite la solitude ravissante de la forêt Dandaka où séjournent, ô héros, les ermites dont l'ascétisme a purifié l'âme.
13. Les bois abondent en fruits, en racines et en fleurs. Tu y verras de magnifiques troupeaux de gazelles, des bandes d'oiseaux apprivoisés,
14. Des touffes de lotus épanouis, des eaux paisibles, des multitudes de Kârandavas, des lacs et des étangs,
15. Des torrents splendides à voir, tombant de la montagne, de mer- veilleux bosquets pleins du cri des paons.
16. Pars, ô mon cher Saumitri ; toi aussi, (Râma), va-t-en. Après celte visite, il le faudra revenir dans (mon) ermitage.
17. Ainsi lui parla (Sutîkshna). — Soit, — répondit Kâkutstha avec Lakshmana; puis l'ayant salué du Pradakshina il se disposa à partir.
18. A ce moment Sîtâ aux grands yeux remit aux deux frères (leurs) deux superbes carquois, avec (leurs) deux arcs et (leurs) deux épées sans tache.
19. Après avoir attaché leurs brillants carquois et saisi leurs arcs so- nores, ils sortirent de l'ermilage tous les deux, Râma et Lakshmana, et s'éloignèrent.
20. Sans tarder les deux Râghavas, étincelantsde beauté, après avoir pris congé du grand Rîshi, partirent, armés de leurs arcs et de leurs épées, avec Sîtâ.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vàlmîki, le Rïshi,
Le huitième Sargade VAranyakânda,
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SARGA IX
SITA SUPPLIE RAMA DE NE POINT COMBATTRE LES RAKSHASAS
1. Pendant que son mari, joie de Raghu, après avoir salué Sutîkshna, s'éloignait, d'une voix aimante et douce (Sîtâ) lui dit :
2. Le péché, par une voie imperceptible, atteint (même) le grand ; mais il peut (toujours être évité) par celui qui se tient éloigné du vice né du désir.
3. Il est présentement trois vices nés du désir. Le mensonge est le pre- mier ; les deux autres sont plus graves.
4. Les relations avec la femme d'autrui et la violence sans hostilité (dé- clarée). Le mensonge n'est point et ne sera jamais ton (défaut), Râghava.
5. D'où (te viendrait) le désir des femmes étrangères qui détruit la vertu ? Tu ne l'as pas, ô Indra des hommes, et tu ne l'eus d'aucune façon.
6. Ce vice, ô Rama, tu n'y pensas même jamais. Tu t'es toujours con- tenté de ton épouse, ô prince.
7. Tu es par excellence l'homme de devoir, tu es plein de loyauté et de soumission aux ordres de ton père. En toi la justice et la droiture résident dans leur plénitude.
8. Tout cela, (guerrier) aux grands bras, ceux qui ont vaincu leurs sens le peuvent pratiquer; (or) tu domines les tiens, de même que les Bhûtas, prince au noble aspect.
9. Le troisième vice, c'est l'attentat barbare à la vie d'êtres qui ne sont point des ennemis ; tu vas faire la folie de le commettre.
10. Tu as promis, (prince) vaillant, aux habitants de la forêt Dandaka, aux Rïshis dont tu prends la défense, de tuer sans désemparer les Rakshas.
11. Pour dégager ta parole, tu te diriges vers la (forêt) célèbre de Dandaka avec ton frère, armé de flèches et d'un arc.
RAMAYANA 2o
12. En te voyant partir ainsi, j'ai l'esprit plein de préoccupations ; je songe à ta manière d'agir, (comment) elle pourrait être salutaire et utile.
13. Il ne me plaît pas, héros, ton départ pour Dandaka, la raison je le la dirai, écoute-moi.
14. Entré dans la forêt avec ton frère, ayant à la main tes flèches et ton arc, à l'aspect de tous ces coureurs des bois, ne lanceras-tu point quelque trait?
15. L'arc mis à la portée des Kshatriyas (ressemble) aux bûches (jetées) dans le feu, il en accroît beaucoup l'ardeur (et) la violence.
16. Autrefois, (prince) aux grands bras, un ascète loyal et pur habitait une forêt sainte où se plaisaient gazelles et oiseaux.
17. Afin d'enrayer son Tapas, Indra, l'époux de Çacî, un glaive à la main, vint dans son ermitage, déguisé en soldat.
18. Il laissa dans cette solitude son glaive précieux, le remettant en dépôt à (l'ermite) au saint Tapas.
19. Celui-ci reçut l'arme, et tout appliqué à la garde de ce dépôt, il se promenait dans le bois, veillant à l'objet qu'on lui avait confié.
20. Partout où il se rendait cueillir des racines et des fruits, il n'allait jamais sans l'épée qu'il gardait avec un soin jaloux.
21. Comme il portait toujours celte arme, l'ascète graduellement prit des instincts belliqueux el négligea le soin de son Tapas.
22. Dès lors, ne se plaisant plus que dans la violence, l'insensé Muni, victime de son péché, passa du maniement de cette épée dans l'enfer.
23. Voilà ce que jadis causa le contact des armes. De même que toucher le feu, toucher une arme, c'est une cause (de malheur), dit-on.
2i. Au nom de mon amour, de ma profonde vénération (pour toi) — je te les rappelle, — je t'adjure, ne pose point cette (cause de malheur) en t'armant de ton arc,
2o. Dans l'intention de tuer sans provocation les Râkshasas qui fré- quentent Dandaka. Frapper sans avoir été outragé, ô guerrier, le monde ne l'admet pas.
26. Les Kshatriyas vaillants, maîtres d'eux-mêmes, dans les forêts, ne doivent se servir de l'arc que pour la défense des opprimés.
27. Tantôt les armes et tantôt la forêt, là le métier de la guerre, ici la pratique de l'ascétisme. Voilà ce que nous devons observer tour à tour, suivant les lieux.
28. Les pensées criminelles, inspirées par la cupidité, naissent du manie-
26 RAMAYANA
menl des armes. De retour dans Ayodhyâ, tu pratiqueras de nouveau (es devoirs de Kshatriya.
29. Elle serait inaltérable certes la joie de ma belle-mère et de mon beau-père, si en renonçant à la royauté tu devenais un paisible ascète.
30. Du devoir naît l'utile, du devoir résulte le bonheur; par le devoir on conquiert le monde entier dont le devoir est la moelle.
31. C'est en se consumant eux-mêmes à force de macérations de tout genre, que les sages atteignent la sainteté ; ce n'est point du bonheur que naît le bonheur.
32. L'âme toujours pure, cher ami, pratique ton devoir dans (cette) so- litude. Mais tout l'ensemble des trois mondes t'est connu essentiellement.
33. (C'est donc) par légèreté féminine que je te parle (ainsi) ; et qui pré- tendrait t'apprendre ton devoir? Après avoir réfléchi sagement avec ton (frère) puîné, ce qui te conviendra, fais-le sans retard.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le neuvième Sarga de VAranyaMnda.
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SARGA X
RAMA RAPPELLE A SITA SA PROMESSE AUX SOLITAIRES
1. A ces paroles de Vaidehî, la fille de Janaka, inspirées par sa ten- dresse conjugale, Râma, affermi dans la loi, répliqua.
2. C'est un langage plein de convenance que t'ont dicté Ion affection (et ton désir) de (m') enseigner (les obligations) de (ma) caste, ô reine, ver- tueuse fille de Janaka.
3. Que répondrai-je, princesse? Toi-même, tu l'as dit : « Les Kshatriyas portent l'arc, afin qu'on n'entende point de cris d'opprimés. »
4. Or, c'est parce qu'ils sont tourmentés dans (cette) forêt de Dandaka que les ascètes aux sévères pratiques sont venus, ô Sîtâ, réclamer ma pro- tection.
5. Séjournant en tout temps dans la forêt où ils se nourrissent de racines et de fruits, ils ne goûtent nulle joie, ô (femme) délicate, par le fait des cruels Râkshasas.
6. Ils sont dévorés par les terribles Râkshasas qui vivent de chair hu- maine, les solitaires de la forêt Dandaka.
7. — Viens à notre secours, — me crièrent ces excellents Deux-fois-nés. Et moi, lorsque j'entendis celte parole tombée de leur bouche,
8. Je promis de leur obéir et leur dis : — Rassurez-vous, ce m'est une confusion sans égale
9. De voir à mes pieds de tels ascètes aux pieds de qui l'on doit être. Que me faut-il faire, demandai-je à cette assemblée de Dvijas?
10. Tous m'approchant me parlèrent ainsi : Dans la forêt Dandaka, de nombreux Râkshasas, changeant de forme à leur guise,
28 RAMAYANA
11. Nous tourmentent cruellement; ô Râma, protège-nous. Le temps du Homa venu, aux jours lunaires, (prince) irréprochable,
12. Nous sommes persécutés par de cruels Râkshasas, mangeurs de chair. Contre ces Râkshasas, nos bourreaux, à nous solitaires adonnés à l'ascétisme,
13. Qui cherchons un protecteur, tu es notre suprême asile. Rien que par la puissance de notre Tapas nous soyons capables de tuer les rôdeurs de nuit,
14. Nous ne voulons point ruiner un ascétisme entrepris depuis long- temps. L'ascétisme prolongé rencontre de nombreux obstacles; il est fort pénible, ô Râghava.
15. C'est pourquoi nous ne lançons point l'anathême sur les Râkshasas, quoiqu'ils nous dévorent. Ainsi tourmentés par les Rakshas qui hantent la forêt Dandaka,
16. Protège-nous avec ton frère ; tu es notre appui, dans la forêt. — Et moi, lorsque j'entendis cela, je promis toute ma protection
17. Aux Rïshis de la forêt Dandaka, ô fille de Janaka. Or cette pro- messe, je ne puis, tant que je vivrai,
18. La violer à l'égard des ascètes. La loyauté me fut chère toujours. Je puis renoncer à la vie, à toi- (même), ô Sîtâ, ainsi qu'à Lakshmana,
19. Mais non à un engagement, surtout à l'égard des Rrahmanes. Ce m'est un rigoureux devoir de protéger les Rïshis,
20. Même si je ne leur avais rien promis, ô Vaidehî; à plus forte raison maintenant! C'est par affection pour moi, dans ta tendresse, que tu as parlé de la sorte.
21. Cela me plaît, ô Sîtâ; car, on ne donne point de conseil à celui que l'on n'aime point. Ce langage est conforme à ta nature, ô belle. En mar- chant dans le chemin du devoir, lu me deviens plus chère que l'existence même.
22. Après avoir ainsi parlé à Sîtâ, la bien aimée fille du roi des Mi- thilas, le magnanime Râma, armé de son arc, parcourut avec Lakshmana ces ravissantes solitudes.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rîshi,
Le dixième Sarga de VAranyakânda.
SARGA XI
RAMA VISITE LES ERMITAGES. HISTOIRE D AGASTVA
1. Devant marchait Râma, Silà au milieu, éclatante de beauté, derrière, l'arc à la main, Lakshmana suivait.
2. Tous deux voyageaient avecSîtà, contemplant rochers et plaines mul- tiples, bois, fleuves nombreux et superbes,
3. iSârasas, Cakravâkas, qui fréquentent les plages fluviales, étangs cou- verts de lotus, où abondent les oiseaux aquatiques,
4. Gazelles tachetées associées par bandes, buffles cornus affolés par le rut, sangliers, éléphants, ennemis des arbres.
•3. Après une longue marche, au coucher du soleil, ils aperçurent en- semble un merveilleux lac d'un Yojana d'étendue.
6. Il était festonné de Padmas et de Pushkaras ; les éléphants s'y ébat- taient par troupes; Sàrasas, Hamsas, Kâdambas (et autres) oiseaux aqua- tiques y foisonnaient.
7. De ce lac aux eaux paisibles, ravissant, sortait un concert de voix et d'instruments de musique; pourtant on ne voyait personne.
8. Intrigués, Ràma et Lakshmana au grand char se mirent à question- ner un Muni du nom de Dharmabhrït.
9. Ce (concert) prodigieux que nous entendons tous, ô grand ascète, nous intéresse vivement. Qu'est-ce? Aie l'obligeance de (nous) le dire.
10. Ainsi interrogé par Ràghava, le magnanime ascète aussitôt com- mença de lui raconter (l'histoire de) cet étang merveilleux.
H. Ce lac s'appelle Pancâpsaras ; toujours plein, il est issu, ô Ràma, du Tapas de l'ascète Màndakarni.
30 RAMÀYANA
12. Il pratiqua un ascélisme rigoureux, ce grand Muni Màndakarni; du- rant dix milliers d'années, il ne se nourrit que de vent, couché dans l'eau.
13. Troublés, tous les Dieux, Agni en tète, s'assemblèrent et se dirent les uns aux autres.
14. — Le siège de l'un de nous est convoité par ce Muni. — Ainsi (par- lèrent), l'esprit bouleversé, tousses habitants du ciel.
15. Alors pour détruire son Tapas, tous les Dieux députèrent cinq Apsa- ras d'élite, au teint brillant comme l'éclair.
16. Le Muni, (bien qu') instruit de ce qu'il y a de meilleur et de pire, fut jeté par ces Apsaras dans l'esclavage de Madana; les Dieux atteignaient leur but.
17. Les cinq Apsaras devinrent les épouses du solitaire qui leur con- struisit dans ce lac une demeure secrète.
18. Là, les cinq Apsaras vivent joyeusement et rendent heureux le Muni qui par la vertu de son Tapas a recouvré la jeunesse.
19. Elles prennent leurs ébats ; de là ce concert ravissant d'instruments de musique et de voix auquel se joint (un cliquetis) de joyaux.
20. Tel fut le prodige que raconta (l'ascète), à l'âme pure, au glorieux Ràghava ainsi qu'à son frère.
21. Après ce récit, Râma visita le cercle des ermitages jonchés d'herbes Kuças et d'écorce, entourés de la splendeur brahmanique.
22. Accompagné de Vaidehî et de Lakshmana, le descendant de Raghu, Kâkutstha, pénétra dans ce fortuné cercle de laures.
23. Accueilli avec bonheur et honoré des grands Rishis, Ràma parcourut successivement leurs solitudes.
24. Le grand guerrier séjourna près des ascètes, ici environ dix mois, là un an,
25. Ailleurs, quatre, cinq, six mois ou davantage; plus loin (un an) et quelques mois, parfois une année et demie.
26. Ràghava (d'autres fois) prolongeait de trois et de huit mois son sé- jour fortuné. Tandis qu'il s'attardait ainsi dans les ermitages des Munis,
27. Au milieu de plaisirs décents, dix années s'écoulèrent. Ayant fait le tour (des ermitages) le vertueux Ràghava, accompagné de Sità,
28. Regagna la solitude de Sulîkshna. Jl y arriva, comblé d'honneurs par les Munis.
29. Là Ràma, le fléau de ses ennemis, s'arrêta quelque temps. Pendant qu'il séjournait dans cette retraite, un jour que, plein de déférence,
HAMAYANA 31
30. Kâkulslha était assis aux pieds du grand ascète Sulikshna, il lui dit: Dans celte forêt, ô Bienheureux, Agastya, le meilleur des solitaires,
31. Habita, m'ont toujours affirmé les conteurs d'histoires; mais j'ignore l'endroit, tant elle est vaste.
32. Où se trouve l'ermitage merveilleux de ce grand et sage Rïshi? Par ta faveur, ô Bienheureux, puissé-je, avec mon jeune frère et Sitâ,
33. Aller saluer l'ascète Agastya! Le grand désir que j'ai dans le cœur,
34. C'est de présenter à l'excellent Muni mes hommages en personne. A ces paroles du vertueux Rama, l'ascète
35. Sulikshna répondit joyeux au fils de Daçaratha. Moi-même, je vou- lais t'en causer ainsi qu'à Lakshmana.
36. — Agastya, va le Irouver avec Sîtâ, ô Râghava — (voulais-je te dire). C'est heureux que maintenant tu m'en parles spontanément.
37. Je le dirai, ô Ràma, où réside Agastya, le grand ascète. Rends- loi, cher enfant, à quatre Yojanas de cet ermitage, vers le sud, (là se trouve) la vaste et sainte retraite du frère d'Agaslya,
38. Dans une fertile région de la forêt, embellie par un bois de Pip- palas, abondante en fleurs et en fruits, charmante, où toute sorte d'oiseaux gazouillent.
39. Là sont de nombreux lacs couverts de lotus, aux ondes paisibles, peuplés de Ilamsas, deKàrandavas, et dont lesCakravàkas font l'ornementt
40. Après y avoir passé une nuit, dès l'aube, ô Ràma, repars (toujours) dans la direction du midi; près d'une clairière de la forêt,
41. Tu rencontreras l'ermitage d'Agastya, au bout d'un autre Yojana, dans un site ravissant, planté d'arbres fort beaux.
42. Ce lieu charmera Vaidehî, Lakshmana ainsi que toi, car il est enchanteur, ce coin de forêt ombragé de nombreux arbres.
43. Si tu as l'intention de visiter Agastya, ce grand ascète, aujourd'hui même, veuille te mettre en route, (prince) à la grande intelligence.
44. A ces mots de l'ascète, Râma, l'ayant salué avec son frère, s'en alla trouver Agastya, accompagné de son puîné et de Sîlà.
45. Il admirait les bois merveilleux, les monts semblables à des amas de nuées, les étangs et les fleuves qui se rencontraient sur sa roule.
40. Tout en marchant d'un pas allègre, le long du sentier que Sulikshna lui avait indiqué, (Ràma), au comble de la joie, dit à Lakshmana.
47. Certainement, c'est la retraite du magnanime frère d'Agastya, de ce Muni au saint Karman que nous apercevons.
32 RAMAYANA
48. Car voilà, le long du sentier de la forêt, par milliers, ces arbres connus qui ploient sous le poids des fruits et des fleurs.
49. De ce bois de Pippalas aux fruits mûrs s'exhale, emportée soudain par la brise, une forte senteur.
50. Çà et là, sont entassés des monceaux de bois et l'on aperçoit, arra- chée tout autour, de l'herbe Darbha, couleur d'émeraude.
51. El cette colonne de fumée que l'on voit au milieu de la forêt, pa- reille à Iacrète d'une sombre nuée, vient d'un feu allumé dans un ermitage.
52. Après s'être baignés dans des Tirthas écartés, les Deux-fois-nés font de saintes offrandes, au moyen de fleurs qu'ils ont cueillies eux-mêmes.
53. La parole que m'a dite Sutîkshna se confirme, cher ami; l'ermitage du frère d'Agastya, le voilà.
54. Après avoir maîtrisé par son énergie (un autre) Mrïtyu, dans son désir d'être utile aux mondes, Agastyaau saint Karman établit ce lieu de refuge.
55. Ici autrefois, en effet, le cruel Vâtàpi et llvala son frère, deux grands Asuras, s'entendirent pour faire périr les Brahmanes.
56. Revêtu de l'aspect d'un Brahmane, llvala (qui était) sans pitié, s'ex- primant en sanscrit, invitait les ascètes à un Çrâddha qu'il leur indiquait.
57. Il apprêtait alors son frère déguisé en bélier et le servait aux Deux- fois-nés dans la prétendue cérémonie du Çrâddha.
58. Puis, lorsque les ascètes avaient mangé, llvala disait : — Vàtâpi, sors, — criant fort haut.
59. A la voix de son frère Vâtàpi bêlait comme un mouton, et déchirant de çà de là le corps des Brahmanes, il sortait.
60. Des milliersde Brahmanes furent ainsi mis à mort par ces mangeurs de chair qui changeaient de forme à leur gré et qui (étaient) toujours de com- plicité.
61. Agastya, le grand Rîshi, à la prière des Dieux, vint au Çrâddha et dévora le grand Asura.
62. — C'est bien, — dit alors llvala; puis après avoir donné à laver (à son hôte) : — Sors, — cria-t-ilà Vâlâpi.
63. Comme il interpellait ainsi son frère, le meurtrier des ascètes, Agas- tya, l'excellent Muni, lui dit en riant.
64. Comment pourrait-il sortir, le Rakshas que j'ai digéré? Ton frère, sous la forme de bélier, est allé au séjour de Yama.
65. Lorsqu'il l'entendit parler de la mort de son frère, dans sa fu- reur, le rôdeur de nuit se mit à outrager l'anachorète.
RAMAYANA 33
66. Ii se ru m surl'Indra des Deux-fois-nés ; mais le Muni de son Tejas embrasé, de son regard de feu, le consuma et le fît périr.
67. Voici l'ermitage, que les étangs et les bois embellissent, du frère de ce Muni qui, dans sa commisération pour les ascètes, accomplit ce prodige inouï.
68. Pendant cet entretien de Rama avec Saumilri, le soleil descendit vers l'Asla et l'heure du soir arriva.
69. Après avoir passé le dernier crépuscule avec son frère, suivant les rites, il entra dans l'ermitage et salua le Rïshi.
70. Le solitaire lui fit bon accueil, et Ràghava passa (là) cette seule nuit, après avoir mangé des racines et des fruits.
71. La nuit écoulée, lorsque parut le disque du soleil, Ràghava rendit ses hommages au frère d'Agastya.
72. Je le remercie, ô Bienheureux, de la bonne nuit que je viens de passer. Je le salue et je m'en vais visiter ton vénérable aîné.
73. Va, lui dit-il. A cette parole, le descendant de Raghu partit. Le long de la route qu'on lui avait indiquée il contemplait la forêt.
74. Nîvâras, Panasas, Salas, Vanjulas, Tiniças, Giribilvas, Madhùkas, Bilvas et Tindukas,
75. Ces arbres de la forêt, ornés de lianes fleuries, Ràma les remarquait par centaines, dans leur épanouissement.
76. Les éléphants de leurs défenses les déchiraient; les singes s'y ébat- taient ; ivres (de joie), des centaines de volées d'oiseaux gazouillaient (dans ces bois).
77. Ràma aux yeux de Râjîva dit au vaillant et glorieux Lakshmana qui marchait derrière, sur ses pas.
78. Au feuillage velouté des arbres, à la douceur des gazelles et des oi- seaux, (je conjecture qu')elle n'est plus très éloignée la solitude du grand Rïshi à l'âme pure.
79. Agastya s'est rendu célèbre en ce monde par son Karman. Le voilà son ermitage qui dissipe l'extrême fatigue,
80. Avec son bosquet rempli de précieux parfums, l'écorce, les guir- landes qui l'entourent, ses troupeaux de gazelles apprivoisées, le ramage de ses nombreux oiseaux.
81. Après avoir dompté (un second) Mrïtyu par son énergie, dans son désir d'être utile aux mondes, (l'ascète) au saint Karman fit de la région du sud un asile (inviolable).
n 3
34 RAMÀYANA
82. La solitude fondée par sa puissance, cette contrée méridionale, les Râkshasas tremblent en la voyant, et s'abstiennent de la ravager.
83. Du jour où celte région fut pacifiée par (l'ascète) au saint Karman, de- puis lors les rôdeurs de nuit ont renoncé à (y exercer) leur haine et leur férocité.
84. Grâce au nom du Bienheureux, cette région fortunée du sud, célèbre dans les trois mondes, est inaccessible aux cruels (Râkshasas).
85. La plus haute des montagnes (qui menaçait) de barrer à jamais la route du soleil, se conformant à l'ordre d'Agastya, la roche du Vindhya ne grandit plus.
86. Voici l'ermitage du vieil ascète au Karman renommé dans le monde; (séjour) fortuné que fréquentent des gazelles apprivoisées.
87. Le célèbre et vertueux Agastya qui se plut toujours à rendre, ser- vice aux êtres, à notre arrivée nous fera le meilleur accueil.
88. Je me le rendrai favorable, ce grand Muni, et le reste de mon exil dans la forêt, je le passerai près de lui, cher Seigneur.
89. Là les Dieux avec les Gandharvas, lesSiddhaset lesParamarshis qui vivent de peu rendent à Agastya de constants hommages.
90. (L'homme) menteur, cruel, fourbe, méchant, pervers, un ascète de ce genre ne saurait y vivre.
91. LàDevas, Yakshas, Nâgas, avec les Patagas, pratiquent une vie d'abs- tinence, et consacrée à la vertu.
92. C'est de là que les Paramarshis, confirmés en sainteté, ces âmes grandes, échangeant leur (ancien) corps pour un nouveau, se rendent au ciel, dans des chars brillants comme le soleil.
93. La qualité de Yakshas, l'immortalité, des royautés diverses sont obtenues là des Devas que servent les êtres vertueux.
94. Nous voici arrivés à l'ermitage. Saumitri, entre d'abord; annonce ma présence au Rïshi avec (celle de) Sità.
Tel est, dans le vénérable Ràmdyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vàlmiki, le Rïshi, Le onzième Sarga de TAranyakànda.
SARGA XII
AGASTYA REÇOIT RAMA DANS SON ERMITAGE
i. Etant entré dans l'ermitage, Lakshmana, le puîné de Râghava, s'ap- procha d'un disciple d'Agastya et lui dit.
2. Le roi Daçaratha, l'aîné de ses fils, le puissant Ràma est venu voir le Muni avec son épouse Sîlâ.
3. Je suis Lakshmana, son jeune frère, qui lui suis dévoué, soumis et attaché. Peut-être as-tu entendu parler (de nous).
I. Nous nous sommes enfoncés dans ce bois redoutable, sur l'ordre pa- ternel. Nous désirons t^us (trois) voir le Bienheureux. Qu'il en soit informé.
5. A ces mots de Lakshmana l'anachorète dit : — C'est bien, — et il se rendit à la chambre du feu (sacré) avertir (Agastya).
6. Il entra chez le premier des Munis que son Tapas rendait invincible, et faisant l'Anjali, il lui apprit aussitôt l'arrivée de Râma.
7. Conformément aux paroles de Lakshmana, le disciple cher à Agastya (lui dit) : Les deux fils de Daçaratha, Ràma et Lakshmana,
8. Sont arrivés dans l'ermitage avec Sîtà, l'épouse (de Ràma). Ces deux (guerriers), vainqueurs de leurs ennemis, sont venus te voir, pour se mettre sous ta discipline.
9. Ce qu'il me faut maintenant faire, indique-le moi. — Lorsqu'il eut ap- pris de son disciple l'arrivée de Ràma, suivi de Lakshmana,
10. Et de l'opulente Vaidehî, (Agastya) dit : C'est heureux que Ràma, au bout d'un si long temps, soit aujourd'hui venu me voir.
II. Dans mon âme, je désirais sa visite. Qu'il entre et soit le bienvenu, Râma que son épouse et Lakshmana accompagnent.
12. Qu'on l'introduise en ma présence. Que n'est-il déjà introduit? — A ces mots du Muni, instruit dans la loi et magnanime,
36 RAMAYANA
13. Son disciple, le saluant de l'Anjali, s'écria : — C'esl bien. — Il sortit effaré et dit à Lakshmana.
14. _ QUel (est) ce Râma? Qu'il vienne voir le Muni. Qu'il entre en personne. — Traversant alors l'ermitage avec le disciple, Lakshmana
15. Le présenta à Kàkulstha et àSîlà, la fille de Janaka. Le disciple redit à (Râma) les paroles engageantes d1 Agastya,
16. Et l'introduisit, comme^il en avait l'ordre, avec tous les honneurs qu'il méritait. Râma fit son entrée, accompagné de Sîtâ et de Lakshmana,
17. Dans l'ermitage, rempli de gazelles apprivoisées. Il contempla le sanctuaire de Brahrnâ, et celui d'Agni,
18. Le sanctuaire de Vishnu, celui de Mahendra et de Vivasval, le sanc- tuaire de Soma, de Bhaga et de Kubera,
19. Celui de Dhâlar et de Vidhâtar, celui de Vâyu, le sanctuaire du (dieu) qui tient un filet à la main, du magnanime Varuna,
20. Le sanctuaire de Gâyatrî et celui des Vasus, le sanctuaire du roi des Nàgas et celui de Garuda,
21. Le sanctuaire de Kârtikeya et celui de Dharma : il les vit (tous). A ce moment, escorté de'ses disciples, l'ascète lui-même parut.
22. Lorsqu'il l'aperçut, à la tète des solitaires, tout brillant de Tapas, le vaillant Râma dit à Lakshmana, l'accroissement du bonheur.
23. Il s'élance dehors, ô Lakshmana, Agastya, le bienheureux Rïshi. C'est avec fierté que je descends vers ce trésor d'ascétisme.
24. Après avoir ainsi parlé d'Agastya, brillant comme le soleil, pendant qu'il s'avançait (à sa rencontre, le héros) aux grands bras, la joie de Raghu, saisit ses deux pieds.
25. L'ayant ainsi salué, le vertueux Râma se tint devant lui après avoir fait l'Anjali ; Sîtâ, la Vaidehî, et Lakshmana l'accompagnaient.
26. (Agastya), embrassant Kâkutstha, lui fit les honneurs du siège et de l'eau; il lui demanda (si tout allait) bien : Assieds-toi, lui dit-il (en- suite).
27. Il invoqua Agni, donna l'Arghya à ses hôtes, en signe d'hommage, et leur servit a manger suivant le rite Vânaprastha.
28. (Cela) d'abord, puis, prenant place auprès de lui, le vertueux tau- reau des ascètes dit à Râma qui était assis et faisait l'Anjali, instruit (qu'il était) de ses obligations.
29. Un ascète qui agirait autrement, ô Kâkutstha, devrait, tel qu'un faux témoin, dans l'autre monde, dévorer sa propre chair.
RAMAYANA 37
30. Roi de tout l'univers, observateur du la loi, (guerrier) au grand char, digne d'honneurs et d'estime, le voilà venu ; tu es mon cher hôte.
31. A ces mots, Agastya distribua, en signe d'hommage, à Rama des fruits, des racines, des fleurs, etc., à profusion, et lui parla ainsi.
32. Voici un divin et puissant arc, incrusté d'or et de diamants, qui ap- partint à Vishnu, ô tigre des héros, c'est l'œuvre de Viçvakarman.
33. Voici le trait Brahmadalta qui ne s'égare point, qui luit comme Sûrya, le meilleur de tous; il me fut donné par Mahendra; voici deux carquoïs inépuisables,
34. Remplis de traits acérés, llamboyants comme des brandons de feu. Voici avec son grand fourreau d'argent une épée ornée d'or.
35. Avec cet arc, ô Rama, Vishnu tua dans le combat les grands Asuras et acquit jadis une gloire éclatante parmi les habitants du ciel.
36. Gel arc, les deux carquois, le dard et l'épée, fier (guerrier), (ces gages de) victoire, prends-les, comme Vajradhara le tonnerre.
37. Ce disant, l'illustre et Bienheureux Agastya remit à Ràma celle pano- plie du puissant (Vishnu) et de nouveau lui adressa la parole.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi, Le douzième Sarga de l'A ranyakânda.
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3ARGA XIII
RAMA SE DIRIGE VERS PANCAVATI SUR LE CONSEIL D AGASTYA
1. Râma, je suis heureux, bonheur à loi, je suis très content, ô Lakshmana, que tous deux vous soyez venus me saluer avec Sîtâ.
2. La fatigue excessive du voyage vous tient épuisés tous deux, comme aussi Mailhilî, la fille de Janaka ; ses soupirs (en sont la preuve) manifeste.
3. Cette jeune femme qui n'est pas habituée aux fatigues est venue dans la forêt fertile en inconvénients, poussée par son amour conjugal.
4. Ce qu'il plaira à Sîtâ (que tu fasses) ici, ô Râma, fais-le ; elle accom- plit l'impossible en te suivant dans la forêt.
5. Le naturel des femmes en effet, depuis l'origine, ô joie de Raghu, con- siste à s'attacher à l'homme dans la prospérité et à l'abandonner dans le malheur.
6. La mobilité des éclairs, le tranchant des armes, la légèreté de Garuda et d'Anila se retrouvent dans les femmes.
7. Mais ton épouse est exempte de ces défauts; elle est digne d'éloges et vaut d'être citée (comme modèle); c'est une autre Arundhalî, parmi les Devas.
8. Usera illustre ce lieu où tu séjourneras avec Saumitri et cette prin- cesse du Videha, ô Râma, vainqueur de tes ennemis.
9. Ainsi parla le Muni. Râghava, (les mains) jointes pour l'Anjali, ré- pondit respectueusement à l'ascète qui brillait comme le feu.
10. Me voici comblé de richesses et de faveurs, puisque le taureau des ascètes, notre Gourou, se déclare satisfait de nos mérites, moi que mon frère et mon épouse accompagnent.
11. Mais indique-moi un endroit oùjl'y ait de l'eau et beaucoup d'ar- bres, que j'y fixe ma retraite, afin d'y vivre en repos, heureux.
Il AM A Y AN A 39
12. L'excellent et magnanime solitaire, à ces mots de Ràma, réfléchit un instant et fît cette réponse mémorable.
13. A deux Yojanas d'ici, cher fils, est un site où les racines, les fruits et les eaux abondent, ainsi que les gazelles ; (ce site) fortuné s'appelle Panca- vatî.
14. Va établir là ton ermitage avec Saumitri, et vis heureux dans l'exacte observance de l'ordre paternel.
15. Je sais toute ton histoire, ô (prince) irréprochable, par la puissance de mon Tapas et en vertu de mon affection pour Daçaratha.
16. Le désir de ton cœur, mon ascétisme me l'a révélé : (voilà pourquoi) je t'engage à séjourner ici, avec moi, dans cette solitude.
17. Ainsi je te le répète : Rends-toi à Pancavatî ; c'est un ravissant bo- cage, Mailhilî s'y plaira.
18. Ce site remarquable n'est pas très loin, ô Râghava. Il est voisin de la Godàvarî ; Maithilî y sera heureuse.
19. Abondant en racines, et en fruits, toutes sortes d'oiseaux le fréquen- tent ; (il est) écarté, (guerrier) aux grands bras ; il est pur et charmant.
20. Toujours actif et en mesure de (tout) sauvegarder à la ronde, tu y séjourneras, ô Râma, pour y protéger les ascètes.
21. Ce grand bois deMadhûkas, ô héros, que l'on aperçoit, il faut prendre au nord, en se dirigeant vers un Nyagrodha.
22. Alors on gravit le plateau d'une montagne peu éloignée ; c'est le cé- lèbre (site de) Pancavatî dont les bosquets sont toujours fleuris.
23. Aces mots d'Agastya, Râma avec Saumitri l'ayant salué prit congé de ce Rïshi loyal.
24. Tous deux, ayant pris congé de l'ascète et déposé leurs hommages à ses pieds, s'en allèrent avec Sîtâ vers la solitude de Pancavatî.
2-3. Les deux princes, intrépides dans les combats, saisirent leurs arcs, attachèrent leurs carquois et s'engagèrent résolument dans le chemin que leur avait indiqué le grand Rïshi, pour se rendre à Pancavatî.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le treizième Sarga de VAranyakânda.
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SARGA XIV
JATAYU RACONTE SA GENEALOGIE A RAMA
1. Comme il se dirigeait vers Pancavatî, le descendant de Raghu ren- contra un colossal vautour, d'une effrayante puissance.
2. A l'aspect de cet (oiseau) des bois, les deux fortunés (princes), Râma et Lakshmana, le prirent pour un Râkshasa (sous forme d') oiseau, et lui de- mandèrent : — Qui es-tu? —
3. Alors, d'une voix douce, caressante, comme (celle d') un ami, il ré- pondit (à Rama) : — Cher fils, sache que je suis le compagnon de ton propre père. —
4. En sa qualité d'ami de son père, Râghava lui rendit hommage, puis il s'informa tout particulièrement de sa race et de son nom.
5. A cette question de Râma sur sa race et sa personne, le Deux-fois-né répondit, en lui racontant l'origine de tous les êtres.
6. — Dans le principe furent les Prajâpatis ; je vais le les énumérer tous, depuis le commencement; écoule, Râghava aux grands bras.
7. Kardama est le premier d'entre eux; Vikrïta vient immédiatement après ; puis (ce sont) Çesha et Samçraya, (celui-ci) père de fils nombreux, puissant;
8. Sthânu, Marîci, Atri, Kratu, plein de vigueur, Pulaslya, Angiras, Pra- cetas, Pulaha ;
9. Daksha, Vivasvat ensuite, et Arishlanemi, ô Râghava ; le célèbre Kaçyapa fut le dernier d'entre eux.
10. Le Prajâpati Daksha eut, dit-on, soixante filles illustres et glorieuses, Râma au grand renom.
11. Kaçyapa se choisit parmi elles huit épouses à la belle taille : Aditi, Diti, Danu, Kâlakâ,
RAMAYANA 41
12. Tâmrâ, Krodhavaçâ, Manu, Analâ. Joyeux, Kaçyapa dit alors à ces jeunes femmes.
13. Vous enfanterez des fils qui (seront) les maîtres des trois mondes, semblables à moi. Adili accepta l'augure, ô Rama, de même que Diti, Danu
14. Et Kâlakâ, ô vaillant (héros), mais les autres s'y refusèrent. Aditi fut mère des trente trois Dévas, ô triomphateur,
15. Des Adityas, des Vasus, des Rudras et des deux Açvins, ô fléau de tes ennemis. Diti enfanta les Daityas illustres, cher fils.
10. C'est à eux que jadis appartint cette terre avec les forêts et les océans. Danu eut pour fils Açvagrîva, ô dompteur de tes ennemis.
17. Naraka et Kâlaka eurent Kâlakâ pour mère. Krauncî, Bhâsî, Çyenî, Dhrïtarâshtrî et Çukî,
18. Tàmrâ enfanta ces cinq jeunes filles renommées dans l'univers. Krauncî enfanta les Ulûkas, et Bhâsî les Bhâsas.
19. Çyenî fut la mère des Çyenas et desGrïdhras éclatants ; Dhrïtarâshtrî celle des ïlamsas, des Kalahamsas de tout (genre),
20. Et des Cakravâkas, bonheur à toi. La belle Çukî enfantaNatâ qui eu Vinatâ pour fille.
21. Krodhavaçâ, ô Ràma, eut elle-même dix filles, Mrïgî, Mrïgamandâ, Harî, Bhadramadâ,
22. Mâtangî, Çârdûli, Çvetâ, Surabhî, Surasâ, douées de tous les signes (de la beauté), enfin Kadrukâ.
23. La progéniture de Mrïgî, ce furent tous les Mrïgas, ô le premier des hommes d'élite. Les Rïkshas furent celle de Mrïgamandâ, ainsi que les Srïmaras et les Camaras.
24. Bhadramadâ eût une fille nommée Irâvati qui fut la mère d'Airâvata, le grand éléphant, gardien des mondes.
25. Harî eut pour enfants les Haris et les Vânaras, amis de la solitude. Çârdûlî eut pour fils les Golangulas et les tigres.
26. De Mâtangî naquirent les Mâtangas, ô Kâkutstha, taureau des hommes. Çvetâ enfanta l'éléphant des régions (et d'autres) fils.
27. Deux filles, ô Râma, naquirent à la déesse Surabhi, Rohinî, bonheur à toi, et l'illustre Gandharvî.
28. Rohinî produisit les vaches et Gandharvî eut les chevaux pour fils. Surasâ enfanta les Nâgas, ô Râma, et Kadrû les Pannagas.
29. Manu, (épouse) de Kaçyapa, le magnanime, procréa les hommes, Brahmanes, Kshalriyas, Yaiçyas et Çûdras, ù taureau des hommes.
42 KAMAYANA
30. De sa bouche naquirent les Brahmanes, de sa poitrine les Kshalriyas, de ses cuisses les Vaiçyas et de ses pieds les Çûdras, dit la Çruti.
31. Tous les arbres aux fruits savoureux furent procréés par Analâ. Vi- nalâ eut Çukî pour grand'mère et elle enfanta Kadrû et Surasâ, sa sœur.
32. Kadrû procréa mille serpents, soutiens de la terre. Vinalâ eut deux fils, Garuda et Aruna.
33. De cet Aruna je suis né ainsi que Sampâti, mon aîné. Je suis Jatâyu, le descendant de Çyenî, sache-le, ô toi qui domptes tes ennemis.
34. J'habiterai près de toi, si lu le désires; je veillerai sur Sîtâ, cher en- fant, lorsque tu seras en excursion avec Lakshmana.
35. Râghava joyeux combla Jatâyu de prévenances ; il l'embrassa et s'in- clina devant lui. Le (héros), maître de lui-même, avait entendu parler sou- vent de l'amitié de son père pour Jatâyu.
36. Après avoir confié Sîtâ, la princesse du Mithila, au tout puissant oi- seau, il partit avec lui vers Pancavatî, accompagné de Lakshmana, dans le dessein de détruire les ennemis, et tout en observant les Savanas.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quatorzième Sarga de VAranyaMnda.
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SARGA XV
RAMA S ETABLIT A PANGAVATI
1. Lorsqu'il fut arrivé à Pancavalî, que fréquentait toute espèce de bêtes féroces et d'antilopes, Râma dit à Lakshmana, son frère, bouillant d'ar- deur.
2. Nous voici dans l'endroit que nous a recommandé le Muni. C'est Pan- cavalî, bien cher, ce bosquet en fleurs-.
3. Jette la vue de tous côtés dans le bois ; tu es expérimenté. A quelle place convient-il d'établir notre ermitage ?
4. Cherche un site où nous puissions nous plaire, Vaidehî, toi et moi, ô Lakshmana, et dans le voisinage duquel se trouve de l'eau en abon- dance.
5. (Un site) où le charme de la forêt s'ajoute à celui des sources ; à proxi- mité duquel il y ait des Samidhs, de l'herbe Kuça, de l'eau.
0. A ces paroles de Râma, issu de Kakutslha, près de qui se tenait Sîtâ, Lakshmana, faisant l'Aûjâli, répondit.
7. Je suis ton serviteur, ô' Kâkutstha, dusses-tu vivre cent ans ! Or- donne-moi de construire (notre ermitage) dans le site qui t'agréera.
8. Enchanté de celte réponse de Lakshmana, l'illustre (héros), après exa- men, choisit un endroit qui présentait tous les avantages.
9. Lorsqu'il arriva dans ce lieu charmant, pour y établir sa résidence, Râma lui prenant la main dans la sienne dit à Saumitri.
10. Voici un endroit uni, fertile, entouré d'arbres en fleurs ; c'est ici qu'il te faut construire un ermitage agréable au possible.
11. Non loin, couverte de lotus brillants comme le soleil et parfumés, qui l'embellissent, vois cette rivière.
44 RAMAYANA
12. D'après la description d'Agastya, le Muni à l'âme pure, c'est la Go- dâvarî merveilleuse avec les arbres fleuris qui la bordent.
13. Les Hamsas et les Kârandavas y abondent, les Cakravâkas en font l'ornement. A une distance ni trop grande, ni trop rapprochée les gazelles (y) viennent (boire) par troupes.
14. On aperçoit des vallons retentissant du cri des paons, déli- cieux, élevés, couverts d'épais bosquets, charmants avec leurs arbres en fleurs.
15. On dirait des éléphants couverts d'énormes housses aux broderies d'or, d'argent et de cuivre, dessinant, çà et là, des œils- de-bœuf.
16. Salas, Tâlas, Tamâlas, Kharjûras, Panasas, Nîvâras, Tiniças, Pum- nâgas, en font la parure.
17. Cûtas, Açokas, Tilakas, Ketakas, Campakas, ces arbres multiples, entremêlés de buissons et de lianes en fleurs, y abondent,
18. (Ainsi que) Syandanas, Gandanas, Nîpas, Panasas, Lakucas même, Dhavas, Açvakarnas, Khadiras, Çamis, Kimçukas, Pâtalas.
19. Ce (lieu) saint, ce (lieu) ravissant, peuplé de gazelles et de volatiles, fixons-y notre demeure, ôSaumitri, avec cet oiseau.
20. A ces mots de son frère Râma, Lakshmana, meurtrier des guerriers ennemis, doué d'une vigueur immense, lui construisit sans tarder une re- traite,
21. Une cabane de feuillage très spacieuse, aux murs enterre, établie sur des pieux solides, faite de longs bambous et fort belle.
22. Elle était recouverte de branches de Çamis; de puissants liens la con- solidaient ; herbes Kuças et Kâças, roseaux et feuilles lui servaient aussi de toit.
23. Le sol en fut nivelé. Après avoir, grâce à sa force extrême, con- struit pour Râghava celte merveilleuse habitation, la plus belle que l'on pût voir,
24. Le fortuné Lakshmana se rendit à la rivière Godâvarî. Il s'y baigna, puis ayant cueilli des lotus et des fruits il s'en revint.
25. Il fit l'offrande de fleurs et la purification, suivant les rites, après quoi il montra à Râma la cabane qu'il venait de construire.
2G. A la vue de cette charmante retraite, de cette hutte de feuillage, Râghava que Sîtâ accompagnait ressentit une joie extrême.
27. Transporté de bonheur, il serra dans ses deux bras Lakshmana et lui dit d'une voix pleine de tendresse et d'émotion.
RAMAYANA 45
28. Je suis content de toi, tu as accompli là un grand travail, Maître. Gomme gage de ma satisfaction, je t'embrasse.
29. Grâce à ton industrie, ton dévouement, ta piété (à mon égard, ô Lakshmana, (il me semble que) mon vertueux père n'est pas disparu.
30. Après avoir ainsi parlé à Lakshmana, Râghava, l'accroissement de la prospérité, s'établit dans ce lieu abondant en fruits; heureux (séjour où il vécut) heureux.
31. Le religieux (prince) y résida quelque temps avec Sîlàet Laksh- mana, comme dans le ciel un Immortel.
Tel est, dans le vé?iérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïski,
Le quinzième Sarga de VAranyakânda.
[Fi5sss5&sas^ssss53s^ssi5]
SARGA XVI
DESCRIPTION DE L HIVER PAR LAKSUMAXA.
1. Pendant que se prolongeait le séjour fortuné du magnanime Rà- ghava, l'automne s'écoula et la saison désirée de l'hiver lui succéda.
2. Un malin, dès l'aube, le rejeton de Raghu s'en alla faire ses ablutions à la ravissante rivière de Godâvarî.
3. Une cruche à la main, le vaillant Saumitri qui le suivait humblement avec Sîtâ, lui dit :
4. La voici venue la saison~que tu aimes, (prince) affable, pendant la- quelle l'année paraît comme revêtue de (toute) sa splendeur.
5. Le sol est hérissé de givre, la terre enguirlandée de grains; les eaux ne sont plus agréables à boire ; le (dieu) porteur d'offrandes est bien ac- cueilli.
6. Après avoir offert aux Pitrïs et aux Divinités les prémices (des mois- sons), les gens par ces offrandes faites à temps sont lavés de leurs souillures.
7. Avides de biens, les paysans ont en abondance le lait (et le reste). Les monarques entrent en campagne, avides de conquêtes.
8. Le soleil fréquentant assidûment la région aimée d'Anlaka, celle du nord, telle qu'une femme dont le Tilaka est effacé, ne brille plus.
9. De son naturel, riche en trésors de froidure, loin désormais du soleil, justifiant son nom pleinement, le mont llimavat est couvert de neiges.
10. Ils sont excessivement agréables (à l'heure) de midi, grâce à la sen- sation (de chaleur), les clairs jours où l'on recherche le soleil, où l'on fuit l'ombre et l'eau.
11. Les tièdes soleils, les nombreux frimas, les froids piquants, les bois
RAMAYANA 47
dépouillés, silencieux, les neiges amoncelées : voilà ce qui dislingue les jours maintenant.
12. Les voici maintenant les froides et longues nuits pendant lesquelles on cesse de coucher en plein air, à qui Pushya sert de guide et qu'un (ciel) neigeux obscurcit.
13. La lune qui tire du soleil son éclat ne brille plus ; son disque gelé et sombre est comme un miroir terni par l'haleine.
14. Sa face, ridée parla froidure, (même) en son plein ne rayonne plus; semblable à Sitâ (au teint) hâlé par la chaleur, elle n'a plus d'éclat.
15. Le vent d'ouest est naturellement glacial ; maintenant qu'il est mêlé de neige, son souffle, le matin, est deux fois plus mordant..
16. Couvertes de vapeurs, les régions boisées, semées d'orge et de fro- ment, brillent au lever du soleil parmi les clameurs des Krauncas et des Sârasas.
17. Avec leurs épis qui ressemblent à des fleurs de Kharjùras, et qui chargés de grains courbent parfois leur lige, les rizières étincellent comme l'or.
18. Avec ses rayons qui se glissent furtivement à travers des bancs de neige, même longtemps après son lever, le soleil a l'aspect de la lune.
19. Prenant (graduellement) des forces dans la matinée, au midi son contact réjouit ; (ses rayons) réunis en faisceaux parfois répandent avec une faible chaleur une pâle clarté sur la terre.
20. Quelquefois le sol gazonneux des bois que la chute du givre imprègne d'humidité brille sous les feux d'un soleil matinal.
21. Au contact de ces vastes amas d'eaux glacées, l'éléphant sauvage, (bien qu') éprouvant une soif extrême, soudain relève la trompe.
22. Les oiseaux aquatiques, se tenant près de l'eau, n'osent pas s'y plon- ger, pareils aux lâches (qui fuient) le champ de bataille.
| 23. Enchaînés par les glaces et les ténèbres, entourés de (brouillards) froids et sombres, les arbres, dépouillés de leurs fleurs, ressemblent à des rangées de donneurs.
24. Les étangs désormais ont leurs eaux couvertes de brumes; c'est à leur cri^que l'on reconnaît les Sàrasas (qui les fréquentent); les sables de leurs rivages sont imbibés de neige.
2->. Grâce à la chute du givre, à la faiblesse des rayons solaires, à la gelée, l'eau qui séjourne même sur le sommet des montagnes, le plus souvent ressemble au Rasa.
48 BAMAYANA
20. Leurs feuilles flétries par l'arrière-saison, leurs élamines et leurs pé- ricarpes desséchés, n'ayant plus que la lige, sous l'étreinte de la froidure, les touffes de lotus ont perdu leur éclat.
27. Durant cette saison, tigre des hommes, par dévouement pour loi, le malheureux et loyal Bharata pratique l'ascétisme dans la ville.
28. Renonçant à la royauté, à (son) faste, à (ses) jouissances variées et nombreuses, s'adonnant aux -austérités, au jeûne, il dort sur la terre glacée.
29. A cette heure précise, à ce moment (même), s'occupant de ses ablu- tions, entouré de ses ministres, il s'achemine vers la rivière Sarayû.
30. Grandi au milieu d un luxe excessif, très délicat, tourmenté par le froid, comment ose-t-il, la dernière moitié des nuits, se plonger dans la Sa- rayû ?
31. Avec ses yeux larges comme des feuilles de lolus, (son teint) foncé, le grand et fortuné Bharata au ventre amaigri, avec sa science du devoir, sa sincérité, plein de retenue, les sens domptés,
32. Avec sonj langage affable, sa douceur, (ce héros) aux longs bras, dompteur de ses ennemis, renonçant à toute sorte de plaisirs, se dévoue pour (toi, son) seigneur, de toute son âme.
33. Il a conquis le ciel, ton frère, le magnanime Bharata, qui, même dans ton exil sylvestre, se règle sur toi en pratiquant l'ascétisme.
34. Ce n'est pas au père, c'est à la mère que l'homme ressemble, dit-on. Ce proverbe, répandu dans le monde, Bharata lui donne le dé- menti.
35. L'épouse de Daçaratha, celle qui a le doux Bharata pour fils, comment peut elle être sa mère, Kaikeyî, une femme aussi cruelle ?
36. Ainsi parla le vertueux Lakshmana dans son affection (fraternelle); mais Râghava ne souffrant pas ce blâme de (leur) mère lui dit.
37. Celle qui parmi nos mères occupe le second rang, cher ami, tu ne dois la blâmer en aucune façon ; parle (toujours) de Bharata, le prolecteur (de la race) d'Ikshvâku.
38. Ma ferme résolution, déjà prise, de séjourner dans la forêt, l'amour de Bharata l'ébranlé et elle chancelle de nouveau.
39. Je me ressouviens de ses paroles affectueuses et douces, cordiales, suaves comme l'Amrïta, qui réjouissent l'âme.
40. Quand donc me réunirai-je au magnanime Bharata, el au vaillant Çatrughna, avec toi, ô joie de Raghu !
RAM AY AN A
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41. Tout en se lamentant ainsi, Kàkutstha atteignit la rivière de la Gotlà- varî où il fit ses ablutions avec son frère puîné et Sîtà.
42. Après avoir avec ces eaux satisfait (à leurs obligations envers) les Pi- trïs et les Daivatas, ils célébrèrent le lever du soleil et les Dévalas (et de- meurèrent) irréprochables ainsi.
43. Ses ablutions faites, secondé par Sîtà, Ràma resplendit avec Laksli- mana, comme après avoir fait les siennes avec la fille du roi des monts, (brille) Rudra, Nandi, le Seigneur Bhagavat.
Tel est, dans le vénérable Ràmdyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vàlmiki, le Rïshi,
Le seizième Sarga de V Aranyakdnda.
SARGA XVII
ARRIVEE DE CURPANAKHA DANS L ERMITAGE
1. Après avoir ainsi fait leurs ablutions, Râma, Sîlâ et Saumitri (quit- tèrent) le bord do la Godâvarî et rentrèrent dans leur ermitage.
2. En arrivant dans sa retraite, Ràghava avec Lakshrnana remplit les ob- servances du matin et pénétra dans sa hutte de feuillage.
3. Il séjournait là joyeux, honoré des grands Rïshis, Raina, dans sa ca- bane de feuillage, assis près de Sîtâ.
4. Il étincelait, (le héros) aux grands bras, comme près de Citrâ, Can- dramas. Avec Lakshrnana, son frère, il s'entretenait de choses et d'autres.
5. Un jour que Râma était assis, l'esprit absorbé par la conversation, une certaine Râkshasî vint là par hasard.
6. Elle s'appelait Çûrpanakhâ, (c'était) la sœur du RakshasDaçagrîva. En s'approchant, elle aperçut Râma pareil à (l'un des) Trente.
7. Avec son visage fulgurant, ses bras énormes, ses yeux larges comme des feuilles de lotus, son attitude imposante, (comme celle) de l'éléphant, (la chevelure) tressée en couronne,
8. Plein de jeunesse et de courage, l'air d'un roi, Râma au teint foncé de l'Indîvara avait l'aspect séduisant de Kandarpa.
9. A la vue (du héros) pareil à Indra, la Râkshasî devint folle d'amour. Râma était beau, elle était laide; il avait la taille élégante, elle l'avait épaisse.
10. Il avait les yeux grands, les siens étaient difformes; belle était sa che- velure, la sienne était cuivrée; son air était agréable, le sien repous- sant ; sa voix harmonieuse, la sienne effrayante.
Il A M A VAN A 31
11. Celait un beau jeune homme, elle était ridée et vieille; il était affable, elle était maussade; il était réglé dans ses mœurs, elle avait une mauvaise conduite; il était élégant, elle avait une tournure disgra- cieuse.
12. Possédée de Kâma, la Râkshasî dit à Ràma : Avec la tresse et ton habit d'ascète, accompagné de ton épouse, armé d'un arc et de flèches,
13. Comment es-tu venu dans ce bois fréquenté des Ràkshasas? Quel- est le but de ton voyage? Dis-moi la vérité.
14. A cette question de la Râkshasî Çûrpanakhî, (le héros) fléau de ses en- nemis, avec une (grande) présence d'esprit, se mit à tout raconter.
15. Il y avait un roi, appelé Daçaratha, puissant comme l'un des Trente. Je suis son fils aîné, Ràma, nom connu de par le monde.
10. Voici mon jeune frère, Lakshmana, mon fidèle compagnon, et voilà mon épouse, issue du Videha, l'illustre Sîtà.
17. Lié par la volonté du roi mon père et (celle) de ma mère, c'est en vue du devoir et dans le désir de l'observer que je suis venu habiter celle forêt.
18. Mais je veux savoir quel (est ton père), qui tu es, de quelle (race); certes, à en juger par tes attraits, tu dois être une Râkshasî.
19. Quel motif t'amène ici? Réponds franchement. A ces mots la Râ- kshasî que l'amour tourmentait répondit :
20. Ecoute, Ràma, je te dirai la vérité. Je suis Çûrpanakhâ, Râkshasî qui change de forme à volonté.
21. Je cours la forêt seule, épouvantant tous les êtres. J'ai pour frères Ràvana, si tu en as ouï parler,
22. Le toujours somnolent et tout puissant Kumbhakarna, le vertueux Vibhishana, étranger aux pratiques des Ràkshasas, et deux autres encore, fameux par leur valeur guerrière, Khara et Dûshana.
23. Moi qui leur suis supérieure, ô Râma, après t'avoir une fois vu, je viens m'unir d'amour au maître, au premier des hommes.
24. Je suis douée de vaillance ; je puis me transporter où je veux ; désor- mais, sois mon époux. Que peux-tu (aire de Sîtà?
25. Difforme et sans grâce, elle n'est pas digne de toi, tandis que je te serai une épouse bien assortie pour la beauté : regarde-moi.
20. Mais celte femme laide, misérable, maussade, à la taille gâtée, je m'en vais la dévorer avec ton frère.
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RAMAYANA
27. Puis, les sommets de la montagne, les bois multiples, tu les verras, en explorant à ta guise avec moi la région de Dandaka.
28. Ainsi lui parla-t-elle, en lui jetant de passionnés regards. Kâkutstha se raillant d'elle lui répondit avec adresse.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rtshi,
Le dix-septième Sarga de l'Aranyakânda.
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SARGA XVIII
MUTILATION DE ÇURPANAKHA
1. A Çûrpanakhà tombée dans les filets de Kâma, Râma, souriant tout d'abord, lui répondit d'une voix doucement railleuse.
2. Je suis marié ; voici'mon épouse bien aimée. La rivalité entre femmes qui te ressemblent serait insupportable.
3. Mon jeune frère que voilà est d'un heureux caractère, d'un aspect agréable, fortuné, célibataire ; il s'appelle Lakshmana, (il est) plein de vaillance.
4. H n'a jamais été marié et il désire une femme, il est jeune, il a bon air, il sera pour toi, avec cette forme, un mari bien assorti.
5. Prends mon frère comme époux, (dame) aux grands yeux, aux belles hanches, et jouis-en sans partage, comme la lumière solaire (jouit) du Meru.
G. A ces mots la Râkshasî que l'amour égarait, quittant Ràma aussitôt, s'adressa à Lakshmana.
7. Par cette beauté je suis une épouse digne de toi avec mon teint merveilleux. Viens avec moi courir joyeux au milieu de tous les Dan- dakas.
8. A ce discours de la Râkshasî Çûrpanakhî le fils de Sumitrâ, l'habile discoureur Lakshmana fit en souriant une réponse adroite.
9. Comment peux-tu vouloir être l'épouse esclave d'un esclave comme moi ? Je suis sous la dépendance de mon noble frère. Toi qui as le teint du Kamala,
10. Agréable et immaculé, ô toi qui as de grands yeux, toi qui es arrivée à la perfection, sois la jeune épouse de (ce) parfait héros.
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il. Cette femme laide, méchante, acariâtre, à la taille contrefaite, vieille, il l'abandonnera pour te posséder.
12. Quel homme sensé renoncerait à cette beauté sans rivale (qui est la tienne, Hâkshasî) au merveilleux teint, aux hanches ravissantes, pour s'énamourer de (simples) femmes?
13. Les paroles de Lakshmana, Ja cruelle et difforme (Rakshasî) les crut sincères; elle ne comprit pas la raillerie.
14. Rama, le fléau de ses ennemis, était assis, dans sa hutte de feuillage, avec Sîtâ. Elle dit au (héros) invincible, dans l'égarement de son amour.
15. C'est pour celte femme laide, méchante, acariâtre, à la taille contre- faite, vieillie, que tu fais si peu de cas de moi !
16. A l'instant, je vais la dévorer en ta présence ; et je vivrai avec toi, sans rivale, à la bonne heure.
17. Ce disant, la (Rakshasî), aux prunelles ardentes comme des lisons, se précipita furieuse sur (Sîtâ) aux yeux déjeune gazelle, comme un gigan- tesque météore sur Rohinî.
18. Le puissant Râtna comprima (son élan), pendant que, semblable au filet de Mrïtyu, elle se jetait (sur Sîtâ), et dans sa colère il dit à Laksh- mana.
19. Avec les (êtres) cruels et vils, ôSaumitri, il ne faut jamais plaisanter. Regarde, ami, Vaidehî allait périr.
20. Cette Rakshasî laide, méchante, furieuse, à la taille épaisse, ô tigre des hommes, défigure-la.
21. A ces mots, le vaillant Lakshmana, indigné contre la Rakshasî, tira son épée (du fourreau) et sous les yeux de Râma, lui coupa les oreilles et le nez.
22. Çûrpanakhâ, les oreilles et le nez coupés, fît un grand cri et s'en re- tourna, comme une furie, en courant par la forêt.
23. Défigurée, transportée de rage, la Rakshasî couverte de sang poussa d'horribles clameurs ; telle une nuée dans la saison des pluies.
24. Perdant beaucoup de sang, le monstre hideux, levant les bras, s'en- fonça en hurlant dans le grand bois.
2o. Défigurée (Çûrpanakhâ) se rendit auprès de son frère Khara, à la redoutable énergie, qui était allé à Janaslhâna, entouré d'une troupe de Râkshasas, et tomba sur le sol comme un aérolithe du ciel.
26. Egarée par la frayeur et couverte de sang, la sœur de Khara lui ra-
RAMAYANA
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conta tout : l'arrivée dans la forêt de Râghava avec son épouse et Laksh- mana, et sa propre mutilation.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rishi,
Le dix-huitième Sarga de /' Aranyakànda.
SARGA XIX
ÇURPANAKIIA RACONTE SON MALHEUR A SON FRERE KHARA
1. A la vue de sa sœur gisante (sur le sol, défigurée, baignée dans son sang, transporté de fureur, le Râkshsasa Khara lui demanda.
2. Relève-toi, raconte-moi (la cause de) ton égarement ; surmonte (a frayeur et dis clairement qui t'a défigurée de la sorte.
3. Qui frappe (ainsi) en se jouant, du bout du pied, le serpent noir, veni- meux, étendu paisiblement près de lui ?
4. Il ne sait pas, l'insensé, qu'il s'est attaché au cou le filet de Kâla, celui qui aujourd'hui t'a touchée, ni qu'il a bu un poison (d'une violence) ex- trême.
5. Douée de force et de vaillance, toi qui te transportes où tu veux et changes de forme à ta guise, qui donc t'a mise en cet état? Toi, l'émule d'Antaka, (nous) arriver (ainsi) !
[i 6. Parmi les Dévas, lesGandharvas, les Rhûtas et les Rïshis puissants, qui donc a poussé la lémérité au point de te mutiler?
7. Je ne vois pas, dans le monde, qui oserait me déplaire, (sinon) parmi les Immortels (le dieu) aux mille yeux, Mahendra, qui châtia Pàka ?
8. Aujourd'hui, de mes dards qui mettent fin à l'existence, je prendrai la vie (de ton insulteur), comme le Sârasa avale le suc laiteux qui nage sur l'eau.
9. Terrassé dans la lutte, mortellement atteint de mes traits, de qui la terre doit-elle boire le sang écumant ?
10. De qui ceux qui ont des ailes pour véhicules, déchireront-ils les
RAMAYANA 57
membres, accourus à mon appel, pour s'en nourrir joyeux, lorsqu'il sera tombé sous mes coups, dans le combat?
11. Ni Dévas, ni Gandharvas, ni Piçâcas, ni Râkshasas ne pourront sau- ver de mes étreintes le malheureux dans (ce) duel formidable.
12. Reprends tranquillement tes sens et indique-moi le misérable qui dans la forêt, (abusant) de sa force, t'a maltraitée?
13. A ce discours deson frère violemment courroucé, Çûrpanakhâ répon- dit avec des sanglots.
14. Ce sont deux jeunes adolescents, très beaux et très forts, aux yeux larges comme le Pundarîka, vêtus d'écorce et de peau d'antilopes noires,
15. Se nourrissant de fruits et de racines, les sens domptés, pratiquant le Tapas et le Brahmacarya, les fils de Daçaratha, les deux frères Rama et Lakshmana.
16. Semblables au roi des Gandharvas, revêtus des insignes de la souveraineté, (sont-ce) des Dévas ou des Dânavas, je ne saurais le de- viner.
17. J'ai vu au milieu d'eux une jeune et belle femme, parée de toutes sortes de bijoux, à la taille élégante.
18. Tous deux se sont jetés sur moi à cause de cette jeune femme et m'ont réduite à cet état, comme une (épouse) répudiée (pour infidé- lité).
19. De cette femme perverse, de ces deux (jeunes hommes) tombés (sous tes coups) je veux boire le sang écumant en plein champ clos.
20. Avant tout ce que je désire obtenir de toi, c'est que je boive sur le champ de bataille le sang de cette femme et de ces deux hommes.
21. A ce langage (de sa sœur) Khara furieux manda quatorze Râkshasas doués d'une grande force, et pareils à Antaka.
22. Les deux hommes pourvus d'armes, vêtus d'écorce et de peaux d'anti- lopes noires, qui se sont aventurés dans cette forêt redoutable de Dandaka avec une jeune femme,
23. Tuez-les ainsi que cette scélérate et revenez; ma sœur boira leur sang.
24. Tel est le désir formel de ma sœur, Râkshasas. Allez vite et sans faute détruisez-les par votre énergie.
25. A la vue des deux frères tombés sous vos coups, celle-ci joyeuse boira gaîment leur sang sur le terrain.
58 RAMAYANA
26. Cet ordre reçu, les quatorze Râkshasas partirent avec Çùrpanaklià, (rapides) comme des nuages chassés par le venl.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le dix-neuvième Sarga de ï Aranyakânda.
SARGA XX
RAMA TUE LES QUATORZE RAKSHASAS ENVOYES PAR KHARA
i. La cruelle Çûrpanakhâ, lorsqu'elle fût arrivée à l'ermitage de Râ- ghava, mon lia aux Râkshasas les deux frères et Sîlâ.
2. Ceux-ci aperçurent Râma assis plein de vaillance, dans sa hutte de feuillage, près de Sîlà. Lakslimana le servait.
3. A l'aspect de Çûrpanakhâ et des Râkshasas qui l'accompagnaient, le fortuné descendant de Raghu, Rama, dit à Lakslimana bouillant de cou- rage.
4. Demeure un instant près de Sî ta, ô Saumitri, que je tue les (Râkshasas) accourus sur les traces de cette (Râkshasî).
5. A cet ordre de Râma, le prudent rejeton de Raghu : — Bien — ré- pondit Lakshmana; plein de déférence.
G. Puis, le vertueux Râghava banda son grand arc orné d'or Câmîkara et dit aux Rakshas.
7. Nous sommes fils de Daçaratha, les deux frères Râma et Lakshmana, venus avec Sîtâ dans l'inaccessible forêt de Dandaka.
8. Les fruits el les racines sont nos aliments; les sens domptés, pratiquant le Tapas et le Brahmacarya, nous séjournons dans la forêt de Dandaka; pourquoi ces violences?
9. Méchants que vous êtes, à la prière des Rïshis je suis prêt à punir vos méfaits sur le champ de bataille, avec mon arc et mes flèches.
10. Halte-là, (ou) vous ne vous en retournerez pas satisfaits. Si vous dé- sirez vivre, allez-vous-en, rôdeurs de nuit.
11. A ce discours les quatorze Râkshasas, transportés de colère, (eux ces) brahmanicides, armés d'épieux,
60 BAMAYANA.
12. Les yeux rouges (de fureur), terribles, pleins d'une joie farouche, ré- pondirentàRâmaau regard flamboyant, au suave langage, à la bravoure in- connue (jusqu'alors).
13. Pour avoir encouru la colère de notre maître, le très magnanime Khara, tu vas succomber sans tarder sous nos coups, dans le combat.
14. Que peux-tu seul contre plusieurs dans la lutte ? Est-ce que tu nous résisteras en face dans la bataille ?
15. Ces bras armés de massues, d'épieux, de piques, t'arracheront avec les souffles ta vigueur, et l'arc te tombera des mains.
16. Ce disant, les quatorze Râkshasas, pleins de rage, brandissant leurs armes redoutables, se ruèrent sur_Râma.
17. Ils lancèrent leurs épieux sur l'invincible Ràghava. Les quatorze épieux réunis, Kâkutstha
18. Les coupa avec autant de traits ornés d'or. L'illustre (guerrier) à cette vue prit quatorze flèches brillantes comme le soleil,
19. Aiguisées sur la pierre, saisit son arc, ivre de fureur, et les y ajustant, il leur donna pour cibles les Râkshasas.
20. Râghava lança ses traits, comme Çatakratu ses foudres, lis transper- cèrent dans leur impétuosité les poitrines des Rakshas; puis tout ensan- glantés,
21. Ils s'enfoncèrent dans le sol ; tels des serpents au sortir d'une fourmilière. Le cœur percé de ces (flèches, les Râkshasas) tombèrent à terre, pareils à des arbres coupés par le pied,
22. Raignés dans leur sang, mutilés, sans vie. En les voyant ainsi étendus sur le sol, la Râkshasî, transportée de rage,
23. S'en revint trouver Khara ; le sang (de ses blessures) était en quelque sorte coagulé, elle tomba de nouveau meurtrie, semblable à une Yallarî à la tige gommeuse,
24. Près de son frère, accablée de douleur; elle poussa un grand cri, mêlant ses larmes à ses gémissements, le visage défait.
25. Lorsqu'elle vit tomber sur le champ de^bataille les Râkshasas, Çûr- panakhâ s'en retourna en toute hâte vers son frère Khara et lui raconta en détail leur mort à tous.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le vingtième Sarga de VAranyakânda.
SARGA XXI
ÇURPANAKHA EXCITE KHARA A COMBATTRE RAMA
1. A l'aspect de Çûrpanakhâ, de nouveau étendue (par terre), furieuse, et revenue sans avoir atteint son but, Khara lui dit d'une voix dure.
2. Ces braves Râkshasas qui se nourrissent de chair, je te les ai donnés pour t'être agréable, que viens-tu pleurer encore ?
3. Ils sont zélés, dévoués, il me furent toujours d'utiles (serviteurs) ; dussent-ils périr (eux qui) ne sauraient succomber, ils ne me désobéiraient pas.
4. Qu'est-ce que cela ? Je veux savoir la cause pour laquelle de nouveau lu l'agites sur le sol, comme un serpent, en t'écriant : Au secours !
5. Pourquoi te lamenter comme une abandonnée, lorsque me voici, moi (ton) protecteur? Debout, debout, non, non, plus de cris, plus de dé- faillance.
. 6. Ainsi lui parla, pour la réconforter, son frère Khara ; la redoutable (Ràkshasî), essuyant ses yeux pleins de larmes, lui dit.
7. Lorsque je f arrivai, les oreilles et le nez coupés, couvertes de (mon) sang qui coulait à flots, lu me consolas.
8. Tu donnas mission à quatorze braves Râkshasas de tuer, pour m'ôtre agréable, le cruel Râghava avec Lakshmana.
9. Ceux-ci, irrités contre Rama, s'armèrent d'épieux et de piques, mais tous sont tombés dans le combat sous ses traits meurtriers.
10. Je les ai vus renversés par terre, dans un instant, ces agiles (guer- riers) ; ce grand exploit de Râma m'inspire une extrême frayeur.
H. Je suis épouvantée, toute tremblante, et hors de moi, ô coureur de nuit; je me réfugie de nouveau vers toi ; je ne vois partout que sujet de crainte.
02 IUMAY.VNA
12. Submergée (que je- suis) dans ce vaslc océan de chagrin que hanlcnt les soucis, en guise de crocodiles, avec ses guirlandes de flots faits d'épou- vanlemenls, ne me sauveras-lu pas?
13. Ils sontgisants à terre sous les traits aigus de Râma, ces Ràkshasas, mangeurs de chair, qui marchaient sur mes traces.
14. Si tu as pitié de moi et dé ces Rakshas, si tu as la force ou le cou- rage (de lutter) contre Râma, ô rôdeur de nuit,
15. Reconquiers la forêt de Dandaka, cet asile buissonneux des Ràkshasas. Si lu ne fais pas mourir aujourd'hui Ràma, le meurtrier de ses ennemis,
16. Je quitterai la vie devant toi, déshonorée. Je comprends : tu ne sau- rais résister en face à Râma, sur le terrain,
17. Même avec une armée, dans une grandebataille. Tu fais le bravache, lu n'es point brave'; ton courage est de convention.
18. Sors de Janasthâna en toute hâte, avec tes compagnons. Sois vain- queur dans le combat; mais si dans ta démence, opprobre de ta race,
19. Tu ne peux tuer ces deux hommes, Râma et Lakshmana; si tu es sans énergie ni vaillance, pourquoi séjournes-tu ici?
20. Vaincu parle puissant Râma, tu succomberas aussitôt; c'est qu'il est vaillant lui, Râma, le fils de Daçaratha,
21. Et son frère est très vigoureux qui m'a défigurée.— Ainsi se lamenta à diverses reprises la Rakshasî, en se déchirant la poitrine.
22. Près de son frère, accablée de chagrin, privée de sentiment, de ses deux mains elle se frappait le sein et gémissait dans sa grande douleur.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vàlmîki, le Rïslii,
Le vingt- et-uniè nie Sarga de l'Aranyakànda.
illiilHilllllllIlïïllIllIB
SAIIGA XXII
KHARA ET SES QUATORZE MJLLE RAK1ISASAS MARCHENT CONTRE RAMA
1. A ces reproches de Çûrpanakhî le bouillant Khara répondii, au milieu des Rakshas, lui le Farouche d'un (on plus farouche (encore) :
2. Ton mépris m'inspire une colère sans égale; je ne puis la contenir; elle me brûle, comme de l'eau salée (sur une plaie).
3. Je ne fais aucun compte de la force de Ràma; c'est un homme mort. Ses méfaits lui vaudront de périr aujourd'hui.
4. Cesse de gémir, ne te troubles plus; je vais conduire Ràma avec son frère dans le séjour de Yama.
5. Aujourd'hui, d'un coup de hache, j'abattrai sur le sol le chétif Rama ; son sang rouge, tu le boiras tout chaud, Râkshasî.
6. Toute heureuse d'entendre cette parole tomber de sa bouche, elle félicita celte fois, dans sa folie, son frère Khara, le plus vaillant des Rakshas.
7. Outragé par elle d'abord, puis complimenté, Khara dit à Dûshana, le chef de ses troupes :
8. Ami, tiens-moi complètement équipés douze mille Rakshas d'élite, dociles à mes ordres, pleins d'une fougue redoutable, qui dans le combat ne reculent point,
9. Au teint des nuées orageuses, se plaisant à nuire aux hommes.
10. Prépare-moi vile un char, ami, des arcs, des flèches, de brillantes épées. des dards de toute sorte, bien aiguisés.
11. Je veux me mettre à la tôle des Paulaslyas magnanimes pour tuer le misérable Ràma, ô guerrier habile.
12. Il parla ainsi. Dûshana attela h un grand char, luisant comme le soleil, d'excellents chevaux à la robe nuancée ; puis il revint l'avertir.
Ci RAMAYANA
13. Ce char ressemblait au sommet du Méru ; il élait incrusté d'or Kâncana affiné ; ses roues étaient d'or Hema; il élait immense ; son timon était d'émeraudes.
14. Il élait couvert d'images en or de bon augure, (figurant) des pois- sons, des fleurs, des arbres, des rochers, des Candrakàntas, des volées d'oiseaux et des constellations.'"
15. Jl était muni d'étendards et d'épées ; enguirlandé de grelots ravis- sants, attelé d'excellents chevaux. Khara impatient y monta.
1G. Khara à l'aspect de cette grande armée pourvue de chars, de bou- cliers, d'armes et d'étendards : « En avant », dit-il, (ainsi que) Dûshana, à tous les Râkshasas.
17. Alors cetle troupe de Râkshasas, formidable avec ses boucliers, ses armes et ses étendards, sortit de Janasthâna au milieu d'un grand bruit et dans une grande hâte.
18. Marteaux, piques, épieux, haches bien tranchantes, sabres, disques à pleins chariots, ainsi que brillants javelots,
19. Dards, massues redoutables, arcs énormes, Gadas, glaives, Musalas, Vajras, au terrible aspect; (telles furent) les armes
20. Des Râkshasas effroyables qui, (au nombre de) quatorze milliers, sortirent de Janasthâna, dociles aux ordres de Khara.
21. Celui-ci contempla quelques instants les Râkshasas qui se précipi- taient l'air farouche ; puis son char s'ébranla aussitôt.
22. L'écuyer aiguillonnait ses chevaux tachetés, aux harnais incrustés d'or pur ; se conformant au désir de Khara.
23. Le char de ce meurtrier de ses ennemis, lancé à toute vitesse, rem- plissait de fracas les points cardinaux et les régions intermédiaires.
24. Transporté de fureur, Khara à la voix rude, impatient de détruire son adversaire, tel qu'An taka doué d'une grande force, pressa de nou- veau son écuyer. Il ressemblait à un nuage qui contient des averses de pierres.
Tel est, dans le vénérable Râmmjana,
Le premier des poèmes, œuvre de Yâlmîki, le Rïshi,
Le vingt-deuxième Sarga de VAranyakànda.
SARGA XXIII
KHARA ET SON ARMEE RENCONTRENT D EFFRAYANTS PRESAGES
1. Alors, prodige effroyable, funeste, une pluie de sang tomba d'une grande (nuée) formidable, horriblement sombre.
2. Les chevaux attelés sur le char de Khara, pleins de vitesse, s'abattirent soudain sur la voie royale, dans un endroit uni, couvert de fleurs.
3. Un disque noir, aux contours sanglants, pareil à un cercle de char- bons allumés, masqua l'astre du jour.
4. Puis, descendit à plein vol, sur l'étendard au bâton d'or, déployé, un vautour colossal, horrible.
5. Près de Janasthâna rôdèrent, jetant des cris assourdissants, et toutes sortes d'épouvantables clameurs, des bêtes et des oiseaux de proie.
6. Dans la région embrasée d'affreux chacals poussèrent des hurlements lugubres, des cris sinistres de Yâtudhânas.
7. D'effrayantes nuées, pareilles à des éléphants (aux tempes) fendues, répandirent une pluie de sang et enlénébrèrent le ciel.
8. L'obscurité devint horrible, profonde, à faire dresser les poils ; les points cardinaux et leurs intervalles ne se distinguaient plus très nette- ment.
9. Le crépuscule vint avant l'heure et prit une teinte sanglante. Khara rencontra des fauves et des oiseaux à l'aspect et au cri terrifiant.
10. Hérons, hyènes, vautours, poussaient des clameurs formidables. De hideux chacals, dont l'aspect est totijoursde mauvais augure, dans la guerre,
11. Hurlèrent à la face de l'armée, en vomissant des flammes de leur gueule. Un tronc décapité, pareil à une massue, apparut près du soleil.
12. Sûrya, bien que ce ne fût point le jour de la conjonction, fut dévoré
Gli KAMAYANA
par Svarbhànu, le grand météore. Le vent se déchaîna furieux ; soudain l'astre du jour s'éteignit.
13. On vit, bien que ce ne fût pas la nuit, des étoiles filantes, pareilles à des mouches lumineuses ; les poissons et les oiseaux se tenaient blottis et les lotus des étangs se flétrirent.
14. Dans un instant les armées furent dépouillés de leurs fleurs et de leurs fruits; de sombres nuages de poussière se soulevèrent sans qu'il fît de vent.
15. — Cîcîkûcî — ainsi croassaient les corneilles, alors que des mé- téores à l'aspect formidable passaient avec bruit.
16. La terre trembla avec les montagnes, les bois et les forêts. Tandis que, debout sur son char, l'intelligent Khara poussait des cris,
17. Un frisson agita son bras gauche; sa voix s'arrêta, son regard se voila de pleurs, pendant qu'il jetait les yeux de tout côté.
18. Son front se creusa de rides, mais dans sa démence, il ne rebroussa pas chemin. A l'aspect de ces grands prodiges qui faisaient dresser les poils,
19. Khara dit en ricanant à tous les Râkshasas : Tous ces grands prodiges à l'aspect terrifiant qui surgissent,
20. Je n'en tiens pas compte dans ma force, non plus que le puissant (ne tient compte) des faibles. Les étoiles elles-mêmes, de mes traits acérés, je les ferais tomber du firmament.
21. Mrïlyu, dans ma colère, je le soumettrais à l'empire de la mort. Ce Râ- ghava, confiant dans sa vigueur, et son frère Lakshmana,
22. Je ne saurais m'en retourner sans les avoir tués de mes dards aigus. Ma sœur, à cause de laquelle (j'ai juré) la perte de Ràma et de La- kshmana,
23. Qu'elle satisfasse son désir en buvant leur sang à tous deux ! Jamais, jusqu'à présent, je n'ai été vaincu en champ clos.
24. Vous m'êtes témoins que je ne mens pas. Le roi des Dieux lui-même, dans ma colère, s'il venait (monté) sur Airâvata, ivre (de Mada),
25. Le tonnerre à la main, je le tuerais dans la lutte; à plus forte raison ces deux mortels. A (ce langage plein de) jactance, la grande armée des Râkshasas
26. Eprouva une joie sans pareille, elle que Mrïtyu tenait (déjà) dans ses filets. Ils s'avançaient pleins de vigueur, impatients du combat.
27. Rïsliis, Dévas et Gandharvas, Siddhas et Câranas au saint Karman s'assemblèrent et se dirent les uns aux autres :
RAMAYANA 67
28. Salut aux vaches, aux Brahmanes, et à (tous les) êtres estimés des mondes! Puisse Râghava, dans la lutte, vaincre les Paulastyas, ces rôdeurs de nuit,
29. Gomme, le disque à la main, Vishnu (vainquit) les Asuras d'élite ! Ce (vœu) et bien d'autres, tout en les formulant souvent, les excellents Rïshis,
30. Intrigués, ainsi que les Devatâs, debout sur leurs chars, contem- plaient celte armée de Râkshasas, voisine de la destruction.
31. Sur son char rapide, Khara devançait son armée. Cyenagâmin, Piï- thugrîva, Yajnaçatru, Vihamgama,
32. Durjaya, Karavîrâksha, Parusha, Kâlakârmuka, Hemamâlin, Mahâ- mâlin, Sarpâsya, Rudhirâçana,
33. Ces douze vaillants (guerriers) se tenaient autour de Khara. Mahâka- pâla, Slhûlâksha, Pramâlha, Triçiras, tous quatre suivaient Dûshana, à la tête des troupes.
34. Avec un élan terrible, dans son impatience d'engager la lutte, cette formidable armée de Râkshasas se ruait sur les deux princes, comme un groupe de constellations sur Candra et Sûrya.
Tel est, dans le vénérable Rdmâyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi, Le vingt- troisième Sarga de l 'Ayodhyakânda.
SARGA XXIV
KHARA ET SON ARMEE ARRIVENT A L ERMITAGE DE RAMA
1. Pendant que Khara au brûlai courage marchait vers leur solitude, Rama avec son frère fut témoin des présages.
2. A la vue de ces prodiges effrayants, funestes aux êtres, Râma, au comble de l'émotion, dit à Lakshmana.
3. Vois, (guerrier) aux grands bras, ces formidables présages, qui mettent hors de soi tous les êtres ; ils indiquent la perte de tous les Râkshasas.
4. Les nuées laissent tomber des gouttes de sang avec un terrible fracas ; elles errent dans l'espace, effrayantes, horriblement sombres.
5. Une vapeur se dégage de toutes mes flèches que la lutte réjouit; mes arcs au dos en or s'agitent (d'eux-mêmes), ô sage (héros).
6. Les cris des oiseaux qui fréquentent ce bois (signifient) que devant nous (marche) la frayeur, et que la vie (de nos adversaires) est en péril.
7. Une lutte formidable va s'engager, sans aucun doute. J'en ai pour ga- rant ce frisson qui me parcourt le bras sans cesse.
8. Proche est pour nous le triomphe, ô héros, et la défaite pour l'en- nemi. Ton visage est resplendissant de joie.
9. Ceux qui s'avancent au combat, le visage pâle, ô Lakshmana, sont perclus.
10. On entend les hurlements formidables des Rakshas, aux cruels mé- faits, et le bruit de leurs gongs.
H. Cependant, l'homme avisé doit songer à l'avenir, s'il désire le succès et qu'il craigne le malheur.
\2. Ainsi donc prends Vaidehî, armé de tes flèches et de ton arc, et ré- fugie-toi dans une caverne de la montagne, inaccessible, masquée par des arbres.
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13. Je ne veux pas que tu enfreignes cet ordre ; jure-moi par mes pieds (de l'accomplir), ami, etva-t-en sans tarder.
14. Tu es brave et plein de vaillance, tu les tuerais sans nul doute ; mais je veux les exterminer moi-même, tous ces rôdeurs de nuit.
15. A ces mots de Hâma Lakshmana, accompagné de Sîlâ, prit ses flè- ches et son arc, et se retira dans une grotte inabordable.
16. Lorsque Lakshmana fut entré dans la caverne avec Sîtâ : — Allons, c'est bien — dit Hâma, et il revêtit sa cuirasse.
17. Paré de son armure, brillante comme le feu, Rama ressemblait à un immense brasier, allumé dans les ténèbres.
18. Le héros saisit son grand arc avec ses flèches, et demeurant debout, il emplissait des vibrations de sa corde les points (de l'horizon).
19. A ce moment, les Devas et les Gandharvas, les Siddhas avec les Câ- ranas s'assemblèrent magnanimes, désireux de contempler la lutte.
20. Les Rïshis à la grande âme, les excellents Brahmarshis se réunirent de par le monde ; et groupés ensemble, ces saints personnages se disaient les uns aux autres.
21. — Puissent les vaches, les Brahmanes et les (chefs des) nations être saufs! s'écriaient-ils d'une voix unanime. Puisse Râghava, dans la lutte, vaincre les Paulastyas, ces rôdeurs de nuit,
22. Gomme le (dieu), armé du disque, (vainquit), dans le combat, tous les taureaux d'entre les Asuras! — Ayant ainsi parlé, ils ajoutèrent, en se regardant mutuellement.
23. Quatorze milliers de Rakshas aux terribles exploits, et le vertueux Râma est seul ; comment y aurait-il lutte?
24. Ainsi disaient les Râjarshis, les Siddhas et avec leur cortège les tau- reaux des Deux-fois-nés. Intriguées les Dévalas se tenaient debout sur leurs chars.
25. AlavuedeRâma, revêtu de splendeur, debout à l'extrémité du champ de bataille, tous les Bhûtas tremblèrent d'épouvante.
26. — L'aspect incomparable de ce Râma aux exploits immortels res- semble à celui du magnanime Rudra en fureur. —
27. Ainsi s'exprimaient Devas, Gandharvas et Câranas. A ce moment, poussant une immense clameur, terrible avec ses boucliers, ses armes, ses étendards,
28. L'armée des Yâtudhânas accourut de tous côtés. Ils jetaient des cris belliqueux et se poussaient les uns les autres,
70 RAMAYANA
29. Bandant leurs arcs, la bouche toujours ouverte, vociférant à tue- lèle, et frappant sur leurs tambours à coups redoublés.
30. Cet effroyable vacarme remplit la forêt et glaça d'épouvante ses ha- bitants,
31. Qui s'enfuyaient loin du bruit, sans regarder derrière eux. L'armée (des flâkshasas) s'élança impétueuse contre Râma,
32. Brandissant toute sorte d'armes, houleuse, pareille à la mer. Cepen- dant Râma, guerrier plein d'expérience, promenait ses regards de tous côtés.
33. Lorsqu'il aperçut l'armée de Khara, il marcha à sa rencontre pour la combattre; il tendit son arc redoutable et puisa des flèches dans son car- quois.
34. Il jeta un cri perçant, signal de mort pour tous les Rakshas. Il était terrible à voir dans sa colère, il flamboyait comme le feu qui met fin à (chaque) Yuga.
35. L'éclat qu'il projetait fit trembler les Déités de la forêt. Dans sa fu- reur, Râma ressemblait au dieu armé de la massue, lorsqu'il se leva pour détruire le sacrifice de Daksha.
36. Avec ses arcs, son attirail (guerrier), ses chars, ses cuirasses aux teintes de feu, l'armée des mangeurs de chairs avait l'aspect d'un amas de nuées sombres, au lever du soleil.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Hïshi,
Le vingt- quatrième Sarga de VAranyakânda.
SARGA XXV
COMBAT DE RAMA ET DES YATUDHANAS
1. En arrivant à l'ermitage, Khara avec ses gens aperçut, armé de son arc et furieux, Râma, le destructeur de ses ennemis.
2. A la vue du héros, l'arc tendu à la main, poussant des cris terribles, le Râkshasa pressa son écuyerde pousser (son char) contre lui.
3. A cet ordre, le Sûta lança ses chevaux dans la direction de Rama aux grands bras qui seul, agitant son arc, se tenait debout.
4. En le voyant se précipiter ainsi (sur Râma), les rôdeurs de nuit, ses compagnons, jetant une immense clameur, (accoururent) de toute part l'entourer.
o. Au milieu de ces Yâludhânas Khara, sur son char, ressemblait à Lohitânga, lorsqu'il se dresse parmi les étoiles.
6. Alors faisant pleuvoir mille traits sur Râma au courage sans égal, Khara poussa son grand cri de guerre.
7. Furieux, tous les rôdeurs de nuit décochèrent des traits de toute sorte sur le terrible archer, l'invincible Râma.
8. Marteaux de fer, épieux, piques, épées, haches, les Râkshasas au comble de la rage en frappèrent le héros.
9. Semblables à des nues avec leur stature colossale et leur force ex- traordinaire, ils lançaient sur Kâkutstha leurs chars et leurs chevaux.
10. Montées sur des éléphants hauts comme des pics de montagne, dans leur désir de le vaincre, les troupes de Rakshas couvrirent Râma d'une grêle de projectiles.
11. Tel l'Indra des monts sur qui d'immenses nuages épanchent leurs ondées, tel Ràma, entouré de tous les Râkshasas au terrible aspect.
12. Gomme à des jours fixes Mahadeva est environné de ses bataillons de satellites, tel Râghava (l'était) des traits lancés par les Yâtudhânas.
72 RAMAYANA
13. Il était un réceptacle pour les dards comme l'océan l'est pour la multitude des fleuves. Les armes terribles qui déchiraient ses membres ne l'ébranlaient pas.
14. Pareil à un grand mont frappé de nombreux carreaux de foudre en- flammés, Râghava blessé avait tous les membres ruisselants de sang.
15. Râma ressemblait au soleil enveloppé de nuées crépusculaires. Une profonde émotion s'empara des Dieux, des Gandharvas, des Siddhas et des suprêmes Rïshis,
16. A l'aspect de (cet homme) seul, assailli par de nombreux milliers (d'adversaires). Râma cependant, courroucé, décrivant un cercle avec son arc,
17. Lança dans la lutte, par cents et par milles, des traits aigus, impos- sibles à éviter, irrésistibles comme les filets de Kâla.
18. Il décocha en se jouant des flèches aux plumes de héron, dorées. Les flèches, lancées sur les bataillons ennemis par Râma, en se jouant,
19. Arrachaient aux Rakshas les souffles, comme les filets que jette Kâla. Elles traversaient les corps des Râkshasas et se teignaient de leur sang.
20. Ils volaient dans l'espace et flamboyaient comme des brandons de feu, les traits innombrables que Hâma puisait dans son carquois.
21. Ils retombaient, formidables à l'excès, ôtant aux Rakshas leurs souf- fles. Arcs, hautes bannières, boucliers et cuirasses,
22. Bras ornés de bracelets, cuisses pareilles à des trompes d'éléphants, de ses dards Râma les brisait dans la mêlée, par centaines, par milliers.
23. Chevaux aux harnais d'or, attelés sur des chars, et leurs conduc- teurs, éléphants avec ceux qui les montaient, cavaliers avec leurs che- vaux,
24. Etaient transpercés, rompus par les traits que Ràma lançait avec son arc. Les fantassins, il les exterminait dans la lutte et les précipitait au sé- jour de Yama.
25. Déchirés par les Nâlîkas, les Nârâcas et les Vikarnis à la pointe aiguë, les rôdeurs de nuit poussaient d'affreux hurlements.
26. Cette armée, décimée par des traits de toute sorte aux mortelles at- teintes, ne résistait pas plus à Râma qu'un bois desséché à l'incendie.
27. Quelques rôdeurs de nuit, pleins de force et de vaillance, au pa- roxysme de la rage, lancèrent contre Râma des piques, des épieux, des haches.
RAMAYANA 73
28. Le héros aux grands bras, évitant leurs armes, leur enleva la vie clans la mêlée, en leur coupant la têle de ses dards.
29. Décapités, ils tombaient à terre, la cuirasse et l'arc rompus, comme les arbres que renversa Suparna du (ouet (de ses ailes).
30. Les survivants de ces coureurs de nuit découragés coururent chercher près de Khara un abri contre ces projectiles meurtriers.
31. Dûshana, réconfortant tous ces (fuyards), prit son arc, et s'élança plein de rage contre (Râma, lui-même) irrité; on eût dit Antaka furieux.
32. Tous retournèrent (au combat), rassurés par l'appui de Dûshana, et ils se ruèrent sur Râma, armés de (troncs de) Salas, de Tâlas et de (quartiers de) roche.
33. Epieux, marteaux et filets à la main, ces (guerriers) valeureux lan- cèrent sur le champ de bataille des grêles de traits, des grêles de projec- tiles.
34. Les Râkshasas firent pleuvoir des averses d'arbres, des averses de pierres. Le combat était prodigieux, formidable, et faisait dresser les poils.
35. Entre Râma et les Rakshas (la lutte) redevint terrible. Ceux-ci, dans leur fureur, frappèrent de nouveau de tout côté Râghava.
36. A l'aspect de toutes les régions et de leurs intervalles entourés de Râkshasas accourus de toute part, le puissant (guerrier), couvert d'une grêle de traits,
37. Fit un cri terrible et lança sur les Râkshasas le dard extrêmement brillant de Gàndharva.
38. Alors des milliers de traits partirent de la courbure de l'arc ; les dix régions furent toutes remplies de projectiles amoncelés.
39. Les Râkshasas remarquaient l'arc retentissant, qui tendu décochait des flèches terribles, redoutables entre toutes, dont ils étaient accablés.
40. Râma de ses traits obscurcissait l'atmosphère avec l'astre du jour. Il demeurait debout lorsqu'il décochait ses dards.
41. Les Râkshasas tombaient par monceaux ; ils étaient tués par mon- ceaux; ils gisaient par monceaux; la terre eu était couverte.
42. Frappés, abattus, détruits, transpercés, dépecés, déchirés, on les voyait çà et là par hécatombes.
43. Têtes coiffées de turbans, bras parés d'anneaux, cuisses et bras coupés, avec leurs divers ornements,
44. Chevaux, éléphants d'élite, chars mis en pièces, chasses-mouches en queue d'yaks, parasols, étendards de toute sorte,
74 RAMAYANA
45. Abattus, détruits par les traits de Râma, épieux et piques brisés, le champ de bataille en était couvert et présentait un efïrayant aspect.
46. En présence de ce massacre, les Râkshasas, au comble de la dou- leur ne pouvaient, tous (réunis), faire reculer Râma, le vainqueur des citadelles ennemies.
Tel est, dans le vénérable' Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le vingt-cinquième Sarga de l'Aranyakânda.
SARGA XXVI
RAMA DETRUIT L ARMEE DES RAKSHASAS ET TUE SON GENERAL DUSHANA
1. Dûshana aux grands bras, voyant sa (première) armée détruite par Ra- ma, se mit à la tête de cinq mille Râkshasas au terrible élan, invin- cibles (jusque-là),
2. Qui dans les combats ne tournaient jamais le dos. (Armés) d'épieux, de piques, de sabres, de pierres, d'arbres même,
3. Ils firent pleuvoir sur (Rama), de toute part, sans pouvoir le blesser, une grêle de projectiles. Cette formidable avalanche d'arbres et de roches, mortelle (pour tout autre),
4. Le vertueux Râghava lui opposa ses dards aigus ; il reçut cette averse, comme un taureau, les yeux fermés.
5. Râma éprouva une rage extrême, funeste à tous les Rakshas. Dans sa fureur, il semblait projeter des flammes.
6. De ses traits il attaqua sur tous les points l'armée avec son général. Irrité, Dûshana, dûshana (fatal) à ses ennemis,
7. Couvrit Râghava de projectiles pareils à des carreaux de foudre. Râma, plein de colère, d'un (trait en forme de) rasoir fendit son grand arc.
8. Dans la lutte, le héros tua ses quatre chevaux avec quatre dards af- filés; les coursiers abattus, d'un (autre dard), en forme de demi-lune,
9. Il coupa la tête de l'écuyer et il atteignit trois fois le Rakshas en pleine poitrine. Celui-ci, l'arc rompu, sans char, ses chevaux tués, son écuyer mort,
10. Saisit une massue pareille à la cime d'une montagne, (dont la vue) faisait dresser les poils, revêtue de lames d'or, fléau de l'armée des Dévas,
11. Garnie de pointes de fer acérées, ointe de la graisse des ennemis, au contact (semblable à celui) de la foudre, brisant les portes des villes ad- verses.
76 RAMA Y AN A
12. Brandissant celte massue, dans la mêlée, comme un grand serpent, Dûshana, le rôdeur de nuit, au cruel Karman, se précipita sur Hâma.
13. Comme Dùshana se jetait sur lui, Râghava de deux traits lui coupa les bras avec leurs parures.
14. L'énorme massue du Rakshas tomba sur le champ de bataille avec ses bras coupés : tel l'étendard abattu d'Indra.
15. Les deux bras amputés, Dûshana se laissa choir par terre, comme un majestueux et colossal éléphant dont on a brisé les défenses.
16. A l'aspect de Dûshana gisant mort sur le champ de bataille : Bravo, bravo! s'écrièrent tous les êtres, en applaudissant Kàkutslha.
17. Dans cet intervalle, trois (Rakshas) furieux qui marchaient à la tête de l'armée, se ruèrent ensemble sur RAma; (ils étaient) enlacés dans les filets de Mrïtyu.
18. (C'étaient) Mahâkapâla, Sthûlâksha etPramâthin, plein de vaillance. Le Râkshasa Mahâkapâla brandissait un énorme épieu ;
19. Sthûlâksha s'était armé d'un harpon et PramHhin d'une hache. En les voyant s'élancer sur lui, Râghava, de ses flèches aiguës,
20. A la pointe acérée, alla au devant d'eux comme au devant d'hôtes qui arrivent. Le (héros), joie de Raghu, trancha la tête de Mahâka- pâla.
21. Il accabla Pramâthin de traits sans nombre, et il emplit de flèches les gros yeux de Sthûlâksha.
22. Celui-ci blessé tomba sur le sol, comme un grand arbre à (l'épaisse) ramure. (Rama) courroucé extermina, dans un instant, les cinq mille (Râkshasas) qui escortaient Dûshana,
23. A l'aide de cinq mille flèches, et les conduisit au séjour de Varna. Lorsqu'il apprit la mort db Dûshana et de ses compagnons,
24. Khara furieux donna l'ordre aux vaillants chefs de l'armée : — Dù- shana est tombé dans la mêlée avec son escorte.
25. De votre grande armée combattez Râma, (cet) homme vil. Accablez- le de traits de toute sorte, vous tous, Râkshasas.
26. Ce disant, Khara, plein de rage, se précipita lui-même sur Râma. Çyenagâmin, Prîthugrîva, Yajnaçatru, Vihamgama,
27. Durjaya, Karavîrâksha, Parusha, Kâlakârmuka, Hemamâlin, Mahâ- mâlin, Sarpâsya, Rudhirâçana;
28. Ces douze vaillants olfîciers avec leurs bataillons se ruèrent sur Râma en lui lançant des traits puissants.
RAMAYANA 77
29. Le valeureux (guerrier) détruisit le reste de cette année au moyen de projectiles élincelants comme le feu, incrustés d'or et de diamants.
30. Ces flèches à la tige en or, sans plumes, pareilles à des flammes mêlées de fumée, abattirent les Rakshas, comme la foudre les grands arbres.
31. Ràma tua, sur le front de bandière, cent Rakshas avec une centaine (de dards) munis d'oreillettes, et mille avec un millier.
32. Leurs cuirasses avec leurs ornements mises en pièces par ces traits, leurs arcs rompus, brisés, les rôdeurs de nuit tombaient à terre, couverts de sang.
33. Les chevelures coupées, ils gisaient sanglants sur le champ de ba- taille : toute la terre en était jonchée, comme une grande Védi (l'est) de gazon.
34. Dans un instant la terrible forêt, avec ces cadavres de Ràkshasas et la boue de chair et de sang dont elle était couverte, prit l'aspect de l'enfer.
35. Quatorze milliers de Rakshas aux terribles exploits furent détruits par un seul homme, Rama, qui combattait à pied.
36. De toute cette armée il ne restait plus que Khara au grand char et le Râkshasa Triçiras (contre) Râma, le fléau de ses ennemis.
37. Tous les autres Ràkshasas, vaillants, redoutables, invincibles jusque là, avaient été tués sur le front de bandière par le frère aîné de Lakshmana.
38. A l'aspect de sa puissante armée, détruite dans une lutte formidable, loyale, par ce (héros) tout puissant, Khara lança sur Râma son grand char, pareil à Indra hrandissant son tonnerre.
39. A l'aspect de sa terrible armée détruite dans une lutte formidable par Ràma, plus puissant que Dharma, Khara, tel qu'Indra brandissant la foudre, poussa sur lui son grand char.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le vingt-sixième Sarga de VAranyakànda.
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SARGA XXVII
MORT DE TRIÇIRAS
1. Comme il se portait à la rencontre de Rama, le général de l'armée, le Râkshasa nommé Triçiras, accourant à lui, dit à Khara.
2. Laisse-moi m'avancer; arrête ta fougue. Assiste à la chute de Rama aux grands bras sur le champ de bataille.
3. Je le jure la vérité, avec l'arme que je liens je vais tuer Râma et venger la mort de tous les Rakshas.
4. Je serai son Mrïtyu, dans ce duel, ou il sera le mien ; comprime ton désir de combattre ; pour un instant, reste spectateur.
5. Râma tué, tu retourneras joyeux à Janasthâna ; ou si je succombe, alors tu te mesureras avec lui. » '
6. Khara se laissa persuader par Triçiras que Mrïtyu affolait. — Va, com- bats, — (lui dit-il). Ainsi autorisé, Triçiras s'avança contre Râghava.
7. Monté sur un char attelé de chevaux, brillant, il s'élança pouv com- battre Râma, tel qu'urfmont à trois crêtes.
8. Il fît pleuvoir une grêle de traiîs, comme un grand nuage, et jeta un cri pareil (au bruit) d'un tambour détrempé par l'eau. •
9. Râghava aperçut le Râkshasa Triçiras qui s'avançait. De son arc qu'il saisit il écarta ses traits acérés;.
10. Un duel formidable s'engagea entre Râma et Triçiras, doués-tous deux d'une extrême vigueur ; on, eût dit un lion et un éléphant.
11. Triçiras l'ayant atteint au front de trois dards, Râma exaspéré, fu- rieux, lui dit d'un ton sarcastique.
12. Oh ! qu'il est fort ce brave Râkshasa qui me'jette à la tête des traits comme des fleurs!
13. Reçois, en retour, ces flèches que t'envoie la corde de mon arc. —
RAMAYANA 79
Ainsi raillé, Triçiras, plein de colère et de rage, lui lança quatorze dards, pareils à des serpents venimeux,
14. En pleine poitrine. Le vaillant Râma, de quatre flèches aux nœuds arrondis,
15. Abattit ses quatre chevaux agiles. De huit autres il tua son écuyer sur son siège.
16. Râma d'une flèche renversa son immense étendard. Gomme le rôdeur nocturne tombait de son char brisé,
17. Il lui perça le cœur de traits. Triçiras demeura sans force. Le (héros) au courage sans mesure, dans sa fureur contre ce Rakshas,
18. Lui coupa ses trois têtes de trois dards impétueux. Le rôdeur de nuit (laissant échapper) à flots un sang fumant, sous les coups dont Râma l'accablait,
19. Tomba sur le champ de bataille où il était demeuré après la mort (des siens). Les survivants des Râkshasas, démoralisés, n'ayant plus d'es- poir qu'en Khara,
20. Les voilà qui fuient, sans plus tenii% comme des gazelles que pour- suit le chasseur. A la vue de cette déroute Khara, se retournant courroucé, se porta en toute hâte à la rencontre de Râma, comme Rahu vers Gan- d ramas.
Tel est, dans le vénérqfile Rûmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmiki, le Rïshi,
Le vingt-septième Sarga de CAranyakânda. '
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SARGA XXVIII
DUEL DE RAMA ET DE KHARA
1. Lorsqu'il vit Dûshana mort ainsi que Triçiras, Khara trembla à l'as- pect de la vaillance de Râma.
2. A la vue de l'armée des Râkshasas invincible, puissante, détruite par le seul Râma, de même que Dûshana et Triçiras,
3. Cette armée, lorsqu'il la vit presque entièrement exterminée, le Râkshasa Khara déconcerté aborda Râma comme Namuci Vâsava.
4. Randant son grand arc, Khara décocha contre Râma des traits altérés de sang, pareils à des serpents pleins de colère et de venin.
5. Khara, sur son char, fît vibrer sans interruption la corde (de son arc); déployant son habileté de tireur, il s'ouvrit un passage sur le champ de ba- taille au moyen de ses traits.
6. Ce (guerrier) au grand char couvrit de ses projectiles les régions et leurs intervalles. A son aspect Râma, armé de son arc prodigieux,
7. Avec ses flèches irrésistibles, semblables à des brandons étincelants, remplit tous les vides de l'espace, comme Parjanya de ses averses.
8. Les traits acérés de Khara et de Râma enveloppaient complètement l'atmosphère qui (semblait) avoir disparu.
9. Le soleil ne brillait plus, voilé (qu'il était) par les projectiles que, dans le dessein de se tuer l'un l'autre, (se lançaient) les deux combattants.
10 (Khara) de traits Nâlîkas et de Vikarnis à la pointe affilée frappa Râma, comme (on pique) d'aiguillons un grand éléphant.
11. Ce Râkshasa, debout sur son char, l'arc à la main, plein d'assu- rance, parut à tous les êtres comme Antaka armé de son filet.
12. Le destructeur de toute son armée, confiant dans sa bravoure, le puissant Râma, Khara le crut épuisé.
13. Lorsqu'il vil (Khara) s'avancer comme un lion plein de courage, avec
RAMAYANA 81-
la fière démarche d'un lion, Râma ne trembla non plus qu'un lion devant une faible gazelle.
14. Cependant, monté sur son grand char brillant comme le soleil, Khara s'approchait de Râma, comme un papillon de la flamme.
15. Khara montra sa dextérité en coupant la flèche et l'arc du magna- nime Râma, à l'endroit où l'on pose la main.
16. Il prit sept autres dards, pareils aux foudres de Çakra, et furieux l'en frappa en pleine poitrine, dans la lutte.
17. Khara accabla d'un millier de traits Râma doué d'une incomparable énergie ; il jelait de grands cris, tout en luttant.
18. Rrisée par les dards aux beaux nœuds que lançait Khara, la cuirasse de Râma, éclatante comme le soleil, tomba sur le sol.
19. Atteint par ces projectiles dans tous ses membres, le descendant de Raghu, Râma, étincelaitde fureur, pendant le combat, et flamboyait comme un brasier sans fumée.
20. Râma, fléau de ses ennemis, pour la perte de son adversaire, banda avec un bruit formidable un autre arc puissant,
21. Arme colossale de Vishnu, don précieux du grand Rïshi (Agaslya), Ràma brandissant cet arc contre Khara qui se ruait sur lui,
22. A l'aide de flèches barbelées d'or Kanaka, aux nœuds arrondis, abat- tit plein de fureur sa bannière dans la lutte.
23. Ce remarquable étendard en or Kâncana, rompu en maints en- droits, tomba à terre, comme le soleil sur l'ordre des Divinités.
24. Khara irrité, visant au cœur, perça de quatre Mârganas les mem- bres de Ràma, qui ressemblait à un éléphant sous des averses.
25. Râma, blessé des nombreux traits partis de l'arc de Khara et les membres couverts de sang, ressentit un violent courroux.
26. Lui, le meilleur des archers, d'une suprême adresse, lança à (ce mo- ment) critique de la lutte, six flèches bien dirigées.
27. D'un dard, il frappa (Khara) à la tête, de deux autres aux deux bras^ et des trois (derniers), en forme de croissants, il l'atteignit à la poitrine.
28. Puis, l'illustre (guerrier) dans sa fureur lança sur le Râkshasa treize Nârâcas, luisants comme le soleil, aiguisés sur la pierre.
29. D'un trait il abattit le joug de son char, de quatre (autres) ses che- vaux bais, d'un sixième il trancha, dans la lutte, la tête de l'écuyer de Khara.
30. De trois autres, le valeureux et puissant (guerrier brisa) le triple ii 6
82 RAMAYANA
bambou ; de deux autres, l'essieu ; du douzième dard il coupa l'arc de Khara et la main (dont il le tenait).
31. Avec le treizième qui brillait comme la foudre, Râghava, l'égal d'Indra, transperça Khara, comme en se jouant.
32. Son arc rompu, sans char, ses chevaux tués, son écuyer mort, Khara, une massue à la main, descendit à terre et se tint debout.
33. Cet exploit de Ràma au grand char, les Devas et les Maharshis as- semblés le célébrèrent en faisant l'Anjali. Joyeux ils se groupèrent au som- met de leurs palais (aériens).
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le vingt-huitième- S arga de V Aranyakânda.
SARGA XXIX
RAMA ET KHARA S'iNVECTIVENT L'UN l' AUTRE
1. L'illustre Râma adressa à Khara, privé de char, qui se tenait debout, la massue à la main, un langage sévère qu'il commença sur un ton plein de modération.
2. Lorsque tu étais à la tête d'une grande armée, composée d'éléphants, de chevaux et de chars, tu commis une mauvaise action que tout le monde réprouve.
3. On évite celui qui nuit aux êtres, ô pervers ; et fût-il maître des trois mondes, il ne subsiste pas (longtemps).
4. L'auteur d'un acte condamné des gens, ô rôdeur de nuit, tous le tuent sans pilié, comme un serpent venimeux que Ton rencontre.
5. Celui qui fait le mal par passion ou par envie, sans en prévoir (les conséquences), périt à la joie (de tous): telle la Brâhmanî qui se nourrit de grêle.
6. Les ascètes qui séjournaient dans la forêt Dandaka où ils prati- quaient la vertu et s'enrichissaient de mérites, ne cueilleras-tu point le fruit de leur meurtre, ô Râkshasa?
7. Les méchants, les êtres cruels que le monde blâme, s'ils parviennent à la souveraineté, ils ne s'y tiennent pas longtemps ; (ils tombent) comme des arbres dont les racines sont coupées.
8. Infailliblement, l'auteur d'une mauvaise action en perçoit le fruit amer, lorsque le temps est arrivé : tel l'arbre paré de fleurs dans la saison.
9. On ne tarde pas de cueillir, en ce monde, le fruit des mauvaises actions; c'est comme un aliment empoisonné que l'on avale, ô coureur de nuit.
84 RAMAYANA
10. Ceux qui commettent d'horribles méfaits, qui se plaisent à nuire aux gens, en ma qualité de roi, j'ai la mission de leur ôter la vie, ô noctam- bule.
11. Tout-à-1'heure, lancés par moi, des traits ornés d'or te perceront et s'enfonceront (dans le sol) en le déchirant, comme des serpents dans une fourmilière. --
12. Les gens de bien que tu as dévorés dans la forêt Dandaka, tout-à- l'heure, abattu sur le champ de bataille avec ton armée, tu les suivras (dans la mort).
13. Tout-à-1'heure, percé de traits, les excellents Rïshis que tu as tués précédemment t'apercevront gisant dans l'enfer, des chars (célestes) où ils sont.
14. Défends-toi comme tu voudras; .en garde, être infâme, présente- ment, je t'abattrai la tête comme une noix de Tâla.
13. Irrité par ce langage de Râma, (le Râkshasa), les yeux injectés de sang, répondit en ricanant de fureur.
16. Pour avoir tué, dans le combat, de communs Râkshasas, ô fils de Daçaralha, comment peux-tu te louer ainsi sans motif ?
17. Les braves, les vaillants, ceux qui sont les taureaux des hommes, ne parlent jamais dans l'ivresse de l'orgueil.
18. Les (esprits) vulgaires, incapables de se maîtriser, l'écume des Ksha- triyas, en (ce) monde, se vantent sans raison, comme toi, Râma.
19. Quel guerrier se targue de sa race, dans la lutte, et, sur le point de succomber, fait de lui-même un éloge inopportun ?
20. Par ta jactance tu viens de montrer clairement le peu (que tu vaux) ; tel, brillant comme l'or pur, un feu. d'herbes Kuças.
21. Tu ne me vois donc pas ici debout, armé d'une massue, inébranlable comme un roc, et (pareil à un) mont riche en métaux?
22. Me voici, la massue à la main, prêt à l'enlever la vie, dans la lutte, ainsi qu'aux trois mondes eux-mêmes; tel Antaka, armé de son filet.
23. J'aurais encore bien des choses à te dire, je ne les dirai point. Savitar atteint l'Asta; le combat ne pourrait plus avoir lieu.
24. Quatorze mille Râkshasas sont tombés sous tes coups; en te mettant à mort aujourd'hui, j'essuierai les larmes (répandues) à leur sujet.
25. A ces mots, plein de fureur, Khara lança contre Râma sa massue aux merveilleux anneaux, comme un (carreau de) foudre étincelant.
2G. Lancé par la main de Khara, cette énorme et fulgurante massue,
RAMAYANA 8.")
après avoir réduit en cendres les arbres et les buissons, vint près de Rama.
27. Pendant que retombait, pareille au filet de Mrïtyu, cette grande massue, et qu'elle traversait l'espace, Râma de ses flèches la brisa en mor- ceaux.
28. Broyée, rompue par ces traits, elle retomba sur le sol comme un serpent abattu par la puissance de formules et d'herbes (magiques).
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rhhi,
Le vingt-neuvième Sarga de V AranyaMnda.
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SARGA XXX
MORT DE KHARA
1. Après qu'il eut brisé cette massue de ses flèches, Râghava, épris de justice, dit avec un sourire mêlé de colère.
2. C'est là tout ton déploiement d'énergie, ô le plus vil des Râkshasas ! Ton intériorité en vigueur rend folle ta jactance.
3. Cette arme qui gît à terre, broyée par mes dards, c'est l'anéantis- sement de ton espoir, à toi qui fais le fanfaron.
4. Ce que lu disais : « Je vais sécher les pleurs versés sur la destruction des Râkshasas », vaine parole que celle-là !
b. Le Rakshas vil, méprisable et hâbleur (que tu es), je vais prendre sa vie comme Garutman (déroba) l'Amrïta.
6. Mes traits tout-à-1'heure vont te couper le cou, le briser, et la terre boira ton sang écumant et bouillonnant.
7. Les membres tout couverts de poussière, les deux bras tranchés et dis- persés, tu dormiras sur la terre en la baisant com me une amante farouche.
8. Lorsque tu seras plongé dans ce profond sommeil, loi qui es l'op- probre des Râkshasas, cette forêt de Dandaka redeviendra l'asile de ceux qui sont (eux-mêmes) des asiles.
9. Le Janasthâna, ta retraite, ô Râkshasa, une fois détruit par mes dards, les ascètes circuleront sans crainte par toute la forêt.
10. Aujourd'hui, les Râkshasîs, leurs parents morts, le visage baigné de larmes, en proie au chagrin, vont fuir épouvantées, elles qui jettent l'épou- vante parmi les autres.
11. Aujourd'hui, privées de tout, elles connaîtront la saveur de la souf- france, les clignes épouses de ceux dont tu es le digne chef.
12. O nature perverse, âme vile, perpétuel fléau des Brahmanes ; c'est à
RAMAYANA 87
cause de toi que les ascètes ne répandent qu'en tremblant la libation dans le feu.
13. A ce langage indigné de Ràghava, Kbara répondit furieux par les plus brutales invectives.
14. Certes tu es plongé dans de grandes frayeurs, malgré ton assurance (affectée); et sous le coup de la mort, tu ne sais plus ce qu'il faut dire ou taire.
15. En effet, les hommes qui sont enveloppés dans le filet de Kâla, ne connaissent plus ce qu'ils doivent ou ne doivent point faire : ils ont les six sens perclus.
16. Après avoir ainsi parlé à Râma, en fronçant les sourcils, le rôdeur de nuit avisa un grand Sala non loin.
17. Comme il regardait de tous côtés, s'il (trouverait) une arme de com- bat, il l'arracha en serrant les lèvres.
18. Dans sa force prodigieuse, il le brandit des deux mains et poussant un grand cri, il le lança sur Rârna en le faisant tournoyer : « Tu es mort », lui dit-il.
4 9. Le puissant Râma, comme (l'arbre) retombait, le brisa sous une grêle de traits. Au comble de la fureur, il résolut d'en finir avec Khara, dans (cette) lutte.
20. Couvert de sueur et les yeux rouges de colère, il perça Khara d'un millier de dards.
21. De ses blessures s'échappèrent des flots de sang écumant, comme du mont Prasravana tombent des torrents.
22." Troublé par les flèches de Râma, Khara que l'odeur du sang affo- lait, se rua sur lui.
23. (En le voyant) accourir plein de fureur et tout ensanglanté, Râma, saisissant un dard, recula vivement de deux ou trois pas.
24. Pour détruire Khara, il prit un trait brillant comme Pâvaka, et pa- reil à un autre Rrahmadanda.
25. Le vertueux (Râma) saisit cette arme qu'il tenait du sage Maghavat, le roi des Suras, et il la lança sur Khara.
26. Ce trait puissant, au sortir de l'arc bandé de Râma, retentit comme l'ouragan et atteignit Khara en (pleine) poitrine.
27. Khara tomba à terre, consumé parle projectile brûlant; tel Andhaka, lorsque Rudra le réduisit en cendres dans la Forêt-Rlanche.
28. De même que Vrïtra sous la foudre, Namuci sous l'écume, ou Râla sous le tonnerre d'Indra. Khara tomba mort.
88 RAMAYANA
29. Dans ce moment, les Devas réunis aux Câranas, firent résonner leurs gongs ; et de toute part,
30. Jls firent pleuvoir sur Rama une averse de fleurs, au comble de la joie et de l'étonnement. — Dans une heure et demie, Râma, de ses flèches acérées,
31. A tué, dans un grand -combat, quatorze mille Rakshas qui chan- geaient de forme à volonté et qui avaient Khara et Dûshana pour chefs.
32. Oh! le grand exploit de Ràma instruit (dans la science de) l'At- man ! Quelle vaillance ! Sa force ressemble à celle de Vishnu !
33. Ayant ainsi parlé, tous les Dieux s'en retournèrent comme ils étaient venus. Alors tous les Râjarshis, les Paramarshis vinrent
34. Féliciter Râma pleins de joie et accompagnés d'Agastya. Ils lui dirent : — Dans un but analogue, l'illustre Mahendra, le meurtrier de Pâka,
35. Puramdara se rendit (autrefois) au saint ermitage de Çarabhanga. Tu as été amené en ce lieu, de même, par les grands Rïshis,
36. Pour la destruction de leurs ennemis, les Rakshas au mauvais Kar- man. Tu as rempli ta mission auprès de nous, ô fils de Daçaratha.
37. Les grands Rïshis pourront vaquer (désormais) à leurs devoirs dans la forêt Dandaka. Sur l'entrefaite, le héros Lakshmana avec Sîtâ
38. Sortit de sa retraite rocheuse et rentra heureux dans l'ermitage. Ce- pendant Râma dont les grands Rïshis célébraient le triomphe
39 Retourna, lui aussi, le vaillant, dans sa solitude où Lakshmana lui fit fête. En revoyant son époux victorieux qui venait rendre la félicité aux grands Rïshis,
40. L'heureuse Vaidehî l'embrassa. Elle fut transportée de la plus vive allégresse, à l'aspect des troupes de Rakshas détruites. Lorsqu'elle revit Râma, sain et sauf, elle se réjouit grandement, la fille de Janaka.
41. Oui certes, ce destructeur des bataillons de Râkshasas que célébraient dans leur joie les magnanimes solitaires, la fille de Janaka, l'embrassant de nouveau avec transport, se sentit heureuse.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Bïshi,
Le trentième Sarga de V Aranyakânda.
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SARGA XXXI
AKAMPANA APPREND A RAVANA LA RUINE DU JANASTHANA
1. Parti en toute hâte du Janasthâna, Akampana courut à Lanka et dit à Ràvana.
2. Les Râkshasas nombreux, établis au Janasthâna, ô roi, ont péri; Khara lui-même est tombé sur le champ de bataille d'où je me suis avec peine échappé.
3. A celte nouvelle Daçagrîva, les yeux rouges de fureur, dit à Akampana, comme s'il (avait voulu) le consumer du feu (de sa colère).
4. Celui qui a détruit mon redoutable Janasthâna est mort. Qui est-ce? Aucun des mondes ne saurait lui offrir un abri.
5. Celui qui m'offense ne peut trouver de salut, fût-ce Maghavat, Vaiçra- vana lui-même, Yama ou Vishnu.
6. Je serais alors le Kâla de Kâla; je réduirais en cendres Pâvaka en per- sonne. Je puis soumettre Mrïtyu à la loi de la mort.
7. Le vent, je le vaincrais à la course. Oui, je puis consumer du feu de ma colère Aditya et Pâvaka.
8. Akampana, faisant l'Anjali devant le furieux Râvana aux dix cous, d'une voix éteinte par l'épouvante, sollicita sa protection.
9. Daçagrîva, l'élite des Rakshas, la lui accorda. Rassuré, Akampana lui dit d'un ton raffermi.
10. Il est un fils de Daçaratha, au corps de lion, jeune; Râma est son nom ; il a les épaules larges, les bras ronds, gros et longs.
11. Il a le teint foncé ; il est célèbre, glorieux, et n'a pas son pareil pour la force et la bravoure : c'est lui qui a tué au Janasthâna Khara et Dûshana.
12. A ces mots d'Akampana, Râvana, le chef des Râkshasas, souffla bruyamment, comme l'Indra des Nâgas, et dit.
90 RAMAYANA
13. Ce Râma étail-il accompagné du roi des Su ras avec tous les Immor- tels, quand il s'est approché du Janasthâna? Parle, Akampana.
14. A cette nouvelle question de Ràvana, Akampana lui raconta l'éner- gie et la bravoure de ce (héros) magnanime.
15. Râma, (tel est) le nom de cet illustre (guerrier), le meilleur de tous les archers. Il possède les qualités des armes divines ; dans le combat, il déploie une valeur extrême.
16. Semblable à lui, puissant, le regard vif, la voix retentissante comme un gong, est son jeune frère, Lakshmana, dont le visage a l'éclat de la pleine lune.
17. Accompagné de (Lakshmana), comme Anila de Pâvaka, ce fortuné roi des rois, c'est par lui que le Janasthâna a été détruit.
18. Non, les Devas magnanimes n'y sont pour rien; c'est une pensée qu'il faut écarter; ce sont les flèches au pied d'or, lancées par Râma, volant (dans l'espace),
19. Et transformées en serpents à cinq têtes, qui ont dévoré les Râksha- sas. De quelque côté que fuyaient les Râkshasas, consumés de frayeur,
20. Ils rencontraient Râma devant eux, debout. Voilà comment il a dé- truit ton Janasthâna, ô (maître) irréprochable.
21. Lorsqu'il eut ouï Akampana, Râvana dit. — J'irai au Janasthâna, tuer Râma avec Lakshmana.
22. Ainsi parla-t-il. Akampana reprit : — Ecoute, ô roi, quelle est la force, la vaillance de Râma.
23. Dans sa colère, Râma est d'une bravoure irrésistible. Ce fameux (guerrier) de ses flèches arrêterait le (cours) impétueux d'un torrent dé- bordé.
24. H abattrait même le firmament avec ses étoiles, ses constellations et ses planètes. Bien plus, ce Râma, si la terre s'enfonçait, serait assez fort pour la relever.
25. Ce prince briserait l'élan de la mer ; il submergerait les mondes ; la fougue de l'Océan, la tempête, il la dompterait de ses dards.
26. Après avoir détruit les mondes par son énergie, cet illustre héros, le meilleur (de tous), pourrait émettre une nouvelle création.
27. Non, certes, Râma, ô Daçagrîva, tu ne saurais le vaincre dans la lutte, pas même avec le peuple des Rakshas, non plus que les méchants (ne sauraient conquérir) le paradis.
28. Il ne pourrait être dompté, suivant moi, même par les Devas et les
RAMAYANA 91
Asuras réunis. Voici le moyen de l'en défaire, prête-moi la plus grande attention.
29. Il a pour épouse la plus belle (femme) du monde, Sîtâ, à la taille élé- gante. Le teint foncé, les membres bien proportionnés, c'est un joyau de femme paré de joyaux.
30. Ni Devî, ni Gandharvî, ni Apsarâ, ni Pannagî, ne lui est comparable, à plus forte raison nulle mortelle.
31. Ravis-lui son épouse, après l'avoir égaré dans la grande forêt. Privé de Sîlà, Râma ne pourra plus vivre.
32. Ce langage plut à Râvana, le chef suprême des Râkshasas. Il réflé- chit et dit à Akampana.
33. Bon, demain je m'en irai seul avec mon écuyer et je ramènerai joyeux cette princesse du Videha dans ma capitale.
34. A ces mots, Râvana se mit en route sur un char traîné par des ânes ; étincelant comme le soleil, il éclairait tous les points de l'horizon.
35. Ce grand char de l'Indra des Râkshasas suivait le sentier des étoiles ; dans sa course rapide, il brillait comme la lune au sein d'une nuée.
36. Le roi des Rakshas se rendit à l'ermitage lointain du fils de Tâtakâ, de Mârîca qui, pour l'honorer, lui présenta des aliments de toute sorte, in- connus des hommes.
37. Après avoir offert (à son chef) le siège et l'eau d'honneur, Mârîca lui dit d'un ton plein de prévenance.
38. Tout va-t-il bien, ô roi des mondes, chef suprême des Râkshasas? Je suis intrigué dans mon ignorance du motif de ta visite inopinée.
39. A cette question de Mârîca, le puissant Râvana répondit en habile dis- coureur.
40. Ma citadelle, ami, vient d'être renversée par Râma aux exploits im- mortels. Le Janasthâna, inexpugnable (jusqu'ici), est complètement détruit par ses armes.
41. Aide-moi à lui enlever sa femme. — A ces mots de l'Indra des Râksha- sas, Mârîca répliqua.
42. Quel ennemi, sous les dehors de l'amitié, (f) a nommé Sîtâ? Qui (d'autre part), ô tigre des Râkshasas, te désoblige ainsi, après avoir été obligé par toi ?
43. — Amène Sîtâ ici, — qui t'a ainsi parlé, dis-le-moi? Qui désire abattre la tête du peuple entier des Rakshas?
44. Celui qui t'a inspiré ce dessein est ton ennemi, sans aucun doute,
92 RAMAYANA
puisqu'il veut te faire arracher de sa gueule le crochet (venimeux) d'un serpent.
45. Qui donc par cet acte cherche à l'égarer? Et tandis que tu dors tran- quille, ô prince, qui te frappe sur la tête ?
46. Avec son extraction d'une race illustre pour bout de trompe, sa vaillance pour Mada, ses bras tendus comme défenses, Râghava, cet éléphant musqué, ô Râvana, on ne saurait supporter sa vue sur le champ de bataille.
47. Cet homme-lion, avec sa crinière hérissée au fort du combat, qui tue les hardis Rakshas (comme des) gazelles, (s'il était) endormi, tu n'oserais le réveiller; les flèches (dont son carquois est) plein (sont ses) griffes, et son épée affilée ses crocs.
48. O roi des Râkshasas, ne va point te jeter dans la gueule horrible de ce Pâtâla (qu'est) Rama, qui a un arc pour crocodiles, la vigueur de ses bras pour limon, des traits pour guirlandes de vagues, un immense champ de bataille pour nappe d'eau.
49. Reste tranquille, ô maître de Lanka. Indra des Râkshasas, calme-toi et retourne paisiblement dans (ta) capitale. Réjouis-toi constamment avec tes épouses, et laisse Râma se réjouir avec la sienne dans les bois !
50. A ces mots de Mârîca, Râvana aux dix cous s'en retourna dans la ville de Lanka, et rentra dans son palais.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le trente et unième Sarga de V Aranyakânda.
SARGA XXXII
ÇURPANAKHA SE REND A LANKA
1. Cependant Çûrpanakhâ, voyant quatorze mille Rakshas au Karman formidable tués parle seul Râma ;
2. A l'aspect de Dûshana, de Khara et de Triçiras tombés sur le champ de bataille, poussa de nouveau d'immenses clameurs, pareille à une nuée.
3. En présence de l'exploit de Rama impossible à tout autre, elle s'en alla, dans le plus grand trouble, à Lanka où Râvana régnait.
4. Elle vit sur la terrasse de son palais, Râvana, au fulgurant éclat, en- touré de ses ministres, comme Vâsava des Maruts.
5\ 11 occupait un trône d'or, brillant comme le soleil, et projetait une clarté semblable à celle d'un grand feu allumé sur un autel d'or.
6. Dévas, Gandharvas, Rhûlas, Rïshis magnanimes ne pouvaient vaincre ce guerrier redoutable à la bouche énorme comme (celle) d'Antaka.
7. Dans les combats des Dévas et des Asuras, il avait été blessé par un éclat de foudre ; il gardait encore à la poitrine les cicatrices des déchirures faites par la pointe des défenses d'Airâvata.
8. Il avait vingt bras, dix cous; il était environné des insignes (de son rang); la poitrine large, vaillant, il portait les marques distinctives de la royauté.
9. Il avait un brillant collier d'émeraudes, des parures en or fin ; de grands bras, de blanches dents, une face énorme ; il avait la stature d'un mont.
10. Dans la guerre des Dieux, Vishnu l'avait frappé cent fois de son Cakra ; d'autres dards et projectiles, au milieu de grands combats, l'avaient atteint.
11. Ses membres restaient entiers ; ils n'avaient pas été entamés par les
94 RAMAYANA
armes des Dévas. Les océans impossibles à soulever, il les soulevait sans peine.
12. Les crêtes de montagnes lui servaient de projectiles ; fléau des Suras, il transgressait les lois et outrageait les femmes d'autrui.
13 II maniait toutes les armes divines et mettait constamment des obs- tacles aux sacrifices. S'étant rendu à la ville de Bhogavatî, il y dompta Vâ- suki.
14. Après avoir triomphé de Takshaka, il lui enleva sa tendre épouse. Il escalada le mont Kailâsa et vainquit Naravâhana.
15. Le char Pushpaka qui le transportail où il voulait, il le lui dé- roba. Le bois divin de Caitraratha, son étang de lotus, la forêt Nan- dana,
16. Il détruisit dans sa colère et sa vaillance ces lieux de plaisirs des Dé- vas. Candra et Sûrya, lorsqu'ils se levaient dans toute leur splendeur, ces deux fléaux de leurs ennemis,
17. Il les arrêtait de ses deux bras, pareil au sommet d'une montagne. Après avoir, durant dix mille ans, pratiqué l'ascétisme dans une grande forêt,
18. Précédemment, plein de constance, il apporta ses têtes à Svayambhû. Dévas, Dânavas, Gandharvas, Piçâcas, Patagas, Uragas,
19. (Il obtint) de n'avoir pas à craindre d'être tué par eux dans le com- bat. Il ne fut point question des hommes. Le Soma sacré, célébré dans des Mantras, au milieu des sacrifices, par les Deux-fois-nés,
20. Lors des pressurages, il le dérobait, (abusant) de sa force. Il stérili- sait les sacrifices accomplis, ce pervers, ce meurtrier des Brahmanes, aux criminels exploits.
21. Farouche, impitoyable, aimant à nuire aux êtres, (vrai) Ràvana pour tous, il était un objet d'épouvante universelle.
22. La Râkshasî vit son frère barbare, puissant, paré d'habits divins, de guirlandes divines qui le rendaient éblouissant.
23. Assis sur son trône, (il était) grand comme Kâla, au temps (de la des- truction finale), cet Indra des Râkshasas, opulent rejeton de la race de Pu- lastya.
24. La Râkshasî, tremblante de frayeur, s'approcha pour parler à Râvana, le meurtrier de ses ennemis, qui était entouré de ses conseillers.
25. Egarée par la terreur et la passion, elle qui allait (partout) sans trem- bler, Çûrpanakhâ, défigurée sur Tordre du magnanime (Râma), montrant
RAM AY AN A
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(son visage mutilé) à Râvana dont les grands yeux lançaient des flammes, lui parla avec véhémence.
Tel est, dans le vénérable Râmâijana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le trente-deuxième Sarga de l'Aranyakânda.
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SARGA XXXIII
REPROCHES DE ÇURPANAKHA A RAVANA
1. Çûrpanakhâ, enflammée de colère, adressa à Râvana, le Râvana des mondes, que ses officiers entouraient, ce langage farouche.
2. Plongé dans la volupté et les plaisirs, livré à tes caprices, sans soucis, tu ne soupçonnes pas qu'il vient de s'élever un danger terrible auquel (pour- tant) il faut aviser.
3. Un monarque, esclave de vulgaires appétits, assiégé de convoitises, passionné, ses sujets ne l'estiment non plus qu'un feu de cimetière.
4. Le souverain qui ne s'occupe pas à temps de ses affaires, se ruine avec son royaume par cette négligence.
5. Le prince qui commet des excès, qu'on ne peut aborder, qui n'est pas maître de lui, les peuples le rejettent au loin, comme les éléphants le limon des rivières.
6. Les rois qui ne protègent pas leur pays livré à l'étranger, vivent sans gloire, comme des monts sous-marins.
7. Aux prises avec les Dévas, les Gandharvas et les Dânavas, maîtres d'eux-mêmes, toi qui fais ce qui ne convient pas, qui es inconstant, com- ment pourras-tu régner?
8. Avec ton naturel puéril, irréfléchi, ô Râkshasa, lu ne connais pas ce- lui que tu devrais connaître, comment pourras-tu régner?
9. Les rois qui n'ont ni émissaires, ni trésor, ni politique à leur dispo- sition, ô le prince des vainqueurs, ressemblent à des gens du commun.
10. Gomme les rois sont informés par leurs espions de tout ce qui se passe au loin, on dit qu'ils ont la vue longue.
11. J'estime que lu ne fais pas ton devoir (et que) d'incapables ministres
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t'entourent, puisque tu ignores la destruction de tes gens (et de leur) de- meure.
12. Quatorze milliers de Rakshas au terrible Karman ont été tués par le seul Rama, avec Khara et Dûshana.
13. La sécurité rendue aux ascètes, la tranquillité à Dandaka, le Janasthana détruit : (voilà l'œuvre) de Ràma aux exploits impérissables.
14. Tu es affolé par les passions, lu es (leur) esclave, ô Ràkshasa, pour ne pas reconnaître l'imminence du danger couru par ton empire !
15. Un roi emporté, peu généreux, égaré, orgueilleux, fourbe, (lorsqu'il tombe) dans le malheur, nul ne s'empresse de le secourir.
10. (S'il est) un homme vaniteux à l'excès, inabordable, plein de suffisance, irascible, ce prince, dans l'infortune, ses proches mêmes l'accablent.
17. S'il ne veille pas à ses intérêts, et qu'au sein des dangers il s'endorme dans une (fausse) sécurité, sans tarder, le malheureux sera balayé de son royaume comme un fétu.
18. On peut tirer parti du bois sec, d'une motte, de la poussière; mais le roi déchu n'est plus bon à rien.
19. Comme un habit usé ou une guirlande fanée; le prince, dépossédé de son royaume, fût-il capable, demeure inutile.
20. Mais le monarque vigilant, instruit de tout, maître de ses passions, reconnaissant, vertueux, perpétue son règne.
21. Le souverain qui, même lorsqu'il dort, tient ouverts les yeux de son gouvernement, qui sait manifester son indignation et son contentement, est honoré du peuple.
22. Pour toi, Râvana, ta folie le prive de ces avantages, toi dont les émis- saires t'ont laissé ignorer le grand carnage des Rakshas.
23. Plein de mépris pour les autres, adonné aux plaisirs des sens, ne sa- chant tirer parti des circonstances de lieu ni de temps, incapable de discer- ner les qualités des défauts, après avoir perdu ton royaume, tu ne larderas pas à périr (toi-même).
24. Réfléchissant à ses torts que (sa sœur) venait de lui mettre sous les yeux, le chef des rôdeurs de nuit, Râvana, riche, fier, puissant, s'absorba longtemps dans ses pensées.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana, Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le ftïshi, Le trente-troisième Sarga de ï Aranyakânda.
SARGA XXXIV
CURPANAKUA ENGAGE RAVANA A TUER RAMA POUR EPOUSER SITA
1. Devant cet acrimonieux langage de Çùrpanakhâ, Hâvana, entouré de ses ministres, demanda avec colère.
2. Qui est-ce que Rama? Quelle est sa force, sa physionomie, sa bravoure? Pourquoi s'est-il enfoncé dans la solitude impénétrable de Dandaka?
3. Quelle est donc l'arme à l'aide de laquelle Râma a détruit les Râksha- sas, dans la lutte, et tué Khara, Dûshana, ainsi que Triçiras?
4. Dis-moi la vérité, ô ravissante (créature), et par qui tu as été défigu- rée. A ces questions de l'Indra des Râkshasas, la Râkshasî, transportée de fureur,
5. Se mit à lui parler de Râma en détails. — Longs sont ses bras, larges ses yeux; vêtu d'écorce et d'une peau de gazelle noire,
6. Râma, le fils de Daçaratha, ressemble à Kandarpa. Armé d'un arc aux anneaux d'or, pareil à l'arc de Çakra,
7. Il décoche des traits enflammés comme des serpents venimeux. Pen- dant que le puissant Râma lançait en jetant des cris ses projectiles formi- dables,
8. El qu'il maniait (ainsi) son arc, je ne l'apercevais pas dans la mêlée; mais je voyais l'armée tomber sous une pluie de flèches,
9. Toile qu'une immense rivière qu'Indra détruit sous une averse de grêlons. Quatorze milliers de Rakshas à la redoutable vaillance,
10. Un seul homme à pied les a renversés sous ses dards acérés, dans une heure et demie, avec Khara et Dûshana.
11. Li sécurité a été rendue aux ascètes et la paix à Dandaka.
12. Seule, je im suis éclnppéo à grand'peine, après avoir été mutilée sur
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l'ordre du magnanime Râma, qui hésitait à tuer une femme dans son àme chevaleresque.
13. Il a un frère illustre pour ses qualités, d'une bravoure égale (à la sienne), rempli de dévouement pour lui et d'afïection : Lakshmana est le nom de ce héros.
14. Irascible, indomptable, victorieux, plein de vaillance, de sagesse et de force, il fut toujours le bras droit de Râma, et son souffle extérieur.
15. Râma, de plus, a une légitime et tendre épouse, aux grands yeux, au visage pareil à la pleine lune ; elle ne se plaît que dans ce qui est agréable et ulile à son mari.
10. Avec sa belle chevelure, son nez bien fait, ses belles épaules, son air plein de grâce et de majesté, on dirait la divinité de la forêt; elle brille comme une autre Çrî.
17. Elle a le teint de l'or fondu (au creuset), les ongles rouges et longs : telle est la belle Sitâ, princesse du Videha, aux hanches larges, à la taille élégante.
18. Ni Devî, ni Gandharvi, ni Yakshî, ni Kinnarî, femme aussi belle ne m'était apparue auparavant dans l'univers.
19. Celui dont Sitâ serait l'épouse et dont il recevrait les amou- reuses caresses, vivrait, dans tous les mondes, plus heureux même que Puramdara.
20. Avec son bon naturel, son corps d'une beauté merveilleuse, sans égale sur la terre, elle (serait) une épouse digne de toi, et lu (serais) pour elle le meilleur des maris.
21. Cette (femme) aux hanches développées, aux seins gras et proémi- nents, au visage ravissant, j'essayais de le l'amener pour qu'elle devin l la femme,
22. Lorsque je fus défigurée par le barbare Lakshmana, ô puissant (roi). A l'aspect de Vaîdehî au visage pareil à la pleine lune,
23. Tu te sentirais aussitôt percé des traits de Manmatha. Si tu éprouves le désir de l'unir à elle, vite, pars du pied droit pour faire sa con- quête.
2i. Si mon conseil te plaît, ô Râvana, prince des Râkshasas, suis-le, sans hésiter.
2o. Connaissant l'impuissance de ces gens-là, ù vaillant chef des Râksha- sas, fais ton épouse de Sîtâ au corps sans défaut !
26. Instruit que Râma, de ses traits qui ne s'égarent point, a tué les
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RAMAYANA
rôdeurs de nuits établis au Janasthâna, en présence de la mort de Khara et de Dûshana, tu as un devoir à remplir.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le trente-quatrième Sarga de ï Aranyakânda.
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SARGA XXXV
RAVANA VA TROUVER MARICA
1 . A ce langage de Çûrpanakhâ qui fît hérisser ses poils de plaisir (Râvana) congédia ses ministres et s'en alla examiner l'affaire.
2. Il réfléchit, en lui-même, à cette entreprise ; il en examina mûrement l'imporlance ; et pesa le plus ou le moins de ses inconvénients et de ses avanlages.
3. — Ainsi me faut-il agir, — conclut-il, et, ferme dans sa résolution, il se rendit à la splendide remise où était son char.
4. Etant allé à sa remise en secret, le chef des Ràkshasas pressa son écuyer. — Qu'on attelle mon char, — lui dit-il.
5. A ces mots, sans tarder, l'écuyer diligent attela son char superbe, merveilleux.
6. (Râvana) monta sur ce char qui allait à sa fantaisie ; il était en or Kâncana, incrusté de pierreries, et traîné par des ânes à la tête de Piçâcas, aux harnais d'or Kanaka.
7. (Monté) sur ce (véhicule) au roulement pareil (à celui) des nuées, le frère puîné de Dhanada, l'opulent souverain des Ràkshasas, se rendit près du maître des fleuves et des rivières.
8. Avec son blanc chasse-mouches en queue (d'yak), son blanc parasol, ses dix visages, son teint reluisant, (couleur) d'émeraude, ses ornements d'or affiné,
9. Ses dix cous, ses vingt bras, son remarquable attirail, cet ennemi des Trois-Dix, le meurtrier des Indras d'entre les Munis, l'égal du roi des monts avec ses dix crêtes,
10. Debout sur son char qui allait au gré de ses désirs, le roi des Ràkshasas brillait tel qu'un nuage aérien, couronné d'éclairs et accompagné de hérons.
102 RAMAYANA
11. Le puissant (monarque) aperçut le rivage de la mer avec ses rochers, planté de milliers d'arbres chargés de fleurs et de fruits de toute es- pèce.
12. (Il était creusé), de toutes parts, d'étangs de lotus aux ondes fraîches et limpides; de vastes ermitages avec leurs autels l'ornaient.
13. Des bosquets de Kadalîs lui donnaient un brillant aspect ; il était em- belli par des (forêts de) cocotiers, de Salas, de Tâlas et deTamâlas en pleine floraison.
14. Il était illustré par (le séjour qu'y faisaient) des milliers deParamar- shis aux pratiques extrêmement sévères, de Nâgas, de Suparnas, de Gan- dharvas et de Kinnaras.
15. Ascètes aux passions vaincues, Siddhas, Câranas lui servaient de parure, ainsi qu'Ajas, Vaikhânasas, Mâshas, Vâlakhilyas, Marîcipas.
16. Chargées d'ornements et de guirlandes célestes, des milliers d'Apsaras à la beauté divine l'égayaient par les jeux et les divertissements où elles excellaient.
17. Les fortunées épouses des Dieux l'honoraient en y résidant ; il était fréquenté par les troupes de Devas et de Dânavas qui se nourrissent d'A- mrïla.
18. Hamsas, Krauncas, Plavas l'emplissaient; Sârasas s'y ébattaient. (Il était couvert d'un) gazon d'émeraude, luisant, tout humide des embruns de la mer.
19. De blancs et vastes chars festonnés de guirlandes célestes, égayés par le son desTûryas et par les chants, circulant de toutes parts,
20. Au gré (de) leurs maîtres) qui avaient conquis les mondes par leur Tapas, s'oiïrirent aux regards du frère puîné de Dhanada, ainsi que les Gan- dharvas et les Apsaras.
21. Il vit à milliers des forêts de santals aux racines pleines d'un suc sa- voureux, ravissantes, et flattant l'odorat.
22. Bois et bosquets d'agalloques superbes, de Takkolas magnifiques, aux fruits succulents et parfumés ;
23. Fleurs de ïamalas, buissons de poivriers, monceaux énormes de perles, séchant sur la rive,
24. Roches, précieux entassements de coraux, promontoires d'or et d'ar- gent,
2o. Cascades charmantes, limpides, merveilleuses; cités regorgeant de trésors et de grains, peuplées par des perles de femmes,
RAMA Y AN A 103
26. Où éléphants, chevaux et chars foisonnaient, apparurent à (RâvanaJ. Il aperçut, au bord du roi des fleuves, un lieu uni de toute part, moelleux; une légère brise y soufflait.
27.11 ressemblait au troisième ciel. Là il remarqua, brillant comme la nue, un Nyagrodha entouré de Munis.
28. De tous les côtés ses branches s'étendaient sur une longueur de cent Yojanas. (Un jour), Garuda, tenant dans ses fortes serres un éléphant et une tortue géante,
29. Qu'il voulait dévorer, s'abattit sur une branche. Soudain ce rameau feuillu, sous le poids énorme de l'oiseau prodigieux,
30. Du puissant Suparna, se rompit. Là Vaikhânasas, Mâshas, Vâlakhi- lyas, Marîcipas,
31. Ajas et Dhûmras, l'élite des Rishis, se trouvaient assemblés. Garuda eut pitié d'eux et celte branche de cent Yojanas,
32. Qu'il avait brisée, il l'emporta prestement avec l'éléphant et la tortue, dans une seule serre. Alors le vertueux et excellent oiseau, après avoir dé- voré cette provende,
33. Détruisit l'empire des Nishâdas avec la branche (du Nyagrodha). Ce lui fut une joie sans pareille d'avoir délivré les grands Munis.
34. Ce plaisir doubla son énergie, et, plein d'intelligence, il résolut de dérober l'Amiita.
35. Après avoir brisé les chaînes de fer et pénétré par effraction dans la merveilleuse maison de pierres précieuses, il enleva l'Amrïla de (cette) de- meure du grand Indra où elle était cachée.
36. Ce fut ce Nyagrodha fréquenté des troupes de Maharshis qui portait encore l'empreinte de Suparna et se nommait Subhadra, qu'aperçut le frère puîné de Dhanada.
37. (Râvana) se rendit sur l'autre rive de l'Océan, le maître des rivières. Il vit un ermitage dans un lieu solitaire, vénérable et délicieux, au milieu d'une forêt.
38. Il y trouva, vêtu d'une peau de gazelle noire, les cheveux roulés en tresse, pratiquant l'abstinence, un Râkshasa du nom de Mâ- rîca.
39. Râvana l'ayant abordé, le Rakshas Mârîca, suivant la règle, procura à son roi toutes sortes de plaisirs inconnus des hommes.
40. Après lui avoir offert le pain et l'eau, Mârîca, d'un ton plein de res„ pect, lui demanda :
lOi
RAMAYANA
41. Tout va-t-il bien à Lanka, ô roi, chef des Râkshasas? Pour quel motif reviens-lu si vite ici?
42. A cette question de Mârîca, le puissant Râvana, discoureur habile, répondit en ces termes :
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, leRïshi,
Le trente-cinquième Sarga de V Aranyakânda.
SARGA XXXVI
RAVANA RECLAME LE CONCOURS DE MARICA
1. Mârîca, mon ami, écoute-moi. Je suis malheureux, et, dans ma dé- tresse, tu es ma suprême ressource.
2. Tu connais le Janasthàna ; c'est là que mon frère Khara, Dûshana aux longs bras, ma sœur Çûrpanakhâ,
3. Le puissant Triçiras, Râkshasa Carnivore, et beaucoup d'autres rô- deurs de nuit, braves et ne manquant jamais le but,
4. Avaient fixé sur mon ordre leur résidence pour détruire, dans la grande forêt, les Munis appliqués à leurs devoirs.
o. Quatorze mille Rakshas aux terribles exploits, pleins de bravoure et d'une adresse impeccable, sous îa conduite de Khara,
b\ Habitaient alors le Janasthàna. Ces vaillants s'assemblèrent pour com- battre de toute leur force Râma.
7. Pourvus d'armes de toutes sortes, ces Râkshasas avaient Khara pour chef. L'irascible Ràma, sur le front du champ de bataille,
8. Sans en avoir reçu la moindre parole outrageante, dirigea contre eux les traits de son arc. Ces quatorze milliers de Rakshas, à la redoutable énergie,
9. Tombèrent sous les dards enflammés d'un homme qui combattait à pied. Khara périt dans la lutte. Dûshana succomba pareillement,
10. Gomme aussi Triçiras, et la sécurité se rétablit à Dandaka. Chassé par un père irrité avec son épouse, le chétif mortel
H. Ràma vient de détruire cette armée, lui, l'opprobre des Kshatriyas, homme sans mœurs, cruel, emporté, atteint de démence, cupide, esclave de ses passions,
106 RAMAYANA
12. Déserteur de son devoir, inique essentiellement, aimant à nuire aux êtres. Sans (sujet d') inimitié, s'appuyant uniquement sur sa force, dans son ermitage,
13. Il a défiguré ma sœur, en lui coupant les oreilles et le nez. Sa femme Sîtâ qui ressemble à la fille d'un Sura,
14. Je veux l'enlever par force>du Janasthâna. Prête-moi ton aide. Avec toi pour compagnon, marchant à mes côtés, ô héros,
15. Et avec mes frères, je ne m'inquiéterais nullement de tous les Suras. Viens donc avec moi, (comme) un digne allié, ô Râkshasa.
16. Pour la vaillance dans les combats et pour la fierté, lu n'as pas Ion pareil ; en fait de stratagèmes, tu es passé maître, tu es versé dans la grande magie.
17. Voilà pourquoi je suis venu le trouver, ô rôdeur de nuit. Apprends la façon dont il te faut me prêter assistance.
18. Transforme-toi en gazelle d'or mouchetée d'argent, et promène-loi dans l'ermitage de ce Râma, en présence de Sîtâ.
19. Sans nul doute, Sîtâ, en voyant cette belle gazelle : Emparez-vous- en, dira-t-elle à son époux el à Lakshmana.
20. Lorsque tous deux seront loin, Sîtâ, demeurée seule, par bonheur, je l'enlèverai sans encombre, comme Râhu (dérobe) à Candra sa clarté.
21. Le rapt de son épouse fera mourir Râma de chagrin, je retrouverai alors le bonheur et la sécurité dans mon âme satisfaite.
22. A ce discours au sujet de Râma, le visage du magnanime Mârîca se ilétrit d'épouvante.
23. Il lécha ses lèvres arides et, les paupières immobiles, devenu comme un mort, il regarda Râvana.
24. L'esprit terrifié, car il savait la vaillance déployée dans la forêt par Râma, Mârîca, faisant l'Anjali, dit à Râvana la vérité, dans l'intérêt de celui-ci et le sien propre.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rishi,
Le trente-sixième Sarga de V Aranyakânda.
SARGA XXXVII
MARIGA ESSAIE DE DETOURNER RAVANA DE SON DESSEIN
1. A ce discours du prince des Râkshasas, l'éloquent et illustre Màrîca répondit.
2. On rencontre aisément des gens, ô roi, qui toujours disent de flat- teuses paroles. Un langage désagréable niais salutaire, ceux qui le tien- nent ou qui l'entendent sont bien rares.
3. Tu ne connais sûrement point Rama que sa grande vaillance et ses qualités font l'égal de Mahendra et de Varuna ; lu as des émissaires ineptes et lu (procèdes) à la légère.
4. Puisses-tu demeurer sauf, ami, ainsi que tous les Rakshas ! Puisse Rama, dans sa colère, ne point dépeupler les mondes de Râkshasas!
•3. Puisse-t-elle n'être pas l'occasion de ta mort, la fille de Janaka ! Puisse Sitâ n'être pas la cause d'un grand malheur !
6. Toi qui n'obéis qu'à les passions, qui ne connais pas de frein, puisse la ville de Lanka, pour avoir un tel maître, ne pas périr avec toi et les Râkshasas !
7. Le roi vicieux qui, tel que toi, est l'esclave de ses désirs, et qui, dans sa perversité, n'écoute que de mauvais conseils, se perd ainsi que son peuple et son empire.
8. Il n'a pas été renié par son père, il ne transgresse nullement son devoir, il n'est ni cupide, ni méchant, ni l'opprobre des Kshatriyas ;
9. Il n'est point dépourvu de loyauté, ni des (autres) qualités, le fils de Kausalyâ; il n'est pas emporté, il ne se plaît pas à nuire à tous les êtres.
10. Bien qu'il vît son père trompé par Kaikeyî : Je dégagerai sa parole, dit-il, plein de loyauté, et il s'exila dans la forêt.
11. Désireux de plaire à Kaikeyî et à son père Daçaratha, il renonça à l'empire et à ses prérogatives, pour s'enfoncer dans le bois de Dandaka.
108 RAMAYANA
12. Rama n'est point violent, ami ; ce n'est pas un ignorant aux sens in- domptés : ce n'est point vrai ce qu'on (f) a raconté, et tu ne dois pas le redire.
13. Raina, c'est le devoir personnifié ; il est honnête ; ce vrai héros est le roi de tout l'univers, ainsi que Vàsava l'est des Dieux.
14. Vaidehî qu'il protège de^sa vaillance, comment peux-tu désirer la lui ravir de force, comme Prabhâ à Vivasvat?
15. Ne te hâtes pas d'entrer dans ce brasier ardent, inextinguible, qu'est Râma qui a, sur le champ de bataille, des flèches pour flammes, un arc et une épée pour charbons.
16. (Quelle que soit) ton indignation, avec son arc tendu, son visage courroucé, ses traits enflammés, ce vaillant archer, pourvu d'armes (invin- cibles), le destructeur des bataillons ennemis,
17. A moins de renoncer au trône, au bonheur, à la vie que chacun aime, ô mon cher, n'approche pas de trop près Râma, (cet autre) Antaka.
18. La fille de Janaka, protégée par l'arc de Râma dont la puissance est sans mesure, tu ne saurais l'enlever dans la forêt.
19. L'épouse bien-aimée de ce lion des hommes à la poitrine de lion, qui lui est plus chère que les souffles vitaux et lui fut toujours fidèle,
20. La princesse de Mithilâ, Sîtâ, à la taille élégante, ne saurait non plus être ravie à la tendresse de ce puissant héros que la flamme à un brasier allumé.
21. Pourquoi cette tentative inutile, ô chef suprême des Ràkshasas? S'il t'aperçoit sur le champ de bataille, c'en est fait de toi.
22. (Puisqu'il s'agit de) ta vie, de ta fortune, de ton empire (jusqu'ici) invincible, délibère avec tous tes conseillers, Vibhîshana en tête,
23. (Gens) pleins de droiture ; réfléchis toi-même, pèse mûrement les in- convénients et les avantages, le fort et le faible.;
24. Examine soigneusement la valeur et celle de Ràghava, songe à ce qui t'est utile, et puis fais ce que tu (croiras) devoir faire.
25. Ma conviction à moi est qu'il ne te sied pas de te rencontrer sur le champ de bataille avec le fils du roi des Kosalas. Ecoute encore ce récit merveilleux, plein d'utilité et d'à-propos, ô roi des rôdeurs de nuit.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rîshi,
Le trente-septième Sarga de l'Aranyakànda.
SARGA XXXVIII
PREMIERE RENCONTRE DE MARICA AVEC RAMA
1. Un jour, en vertu de mon pouvoir (magique), je parcourais cette terre ; j'avais la force d'un millier d'éléphants ; j'étais pareil à un mont.
2. J'avais le teint d'une sombre nuée, je portais des anneaux d'or affiné, je semais l'épouvante dans le monde, (le front ceint) d'un diadème et armé d'une massue.
3. Je rôdais par la forêt Dandaka, et me nourrissais de la chair d'ascètes. Effrayé, le vertueux Viçvâmilra, le grand Muni,
4. S'en alla personnellement trouver Daçaratha, et dit à cet Indra des hommes : — Que Rama me garde avec soin au jour du sacrifice.
•'). Mârîca m'inspire une frayeur extrême, ô chef des hommes. — A ces mots, le vertueux roi Daçaratha
6. Répondit au fortuné Viçvàmitra, le grand ascète : — Ràghava n'a pas encore douze ans et il ignore le maniement des armes.
7. Mais mon armée, sous ma propre conduite, marchera, composée de ses quatre Angas, contre ce rôdeur de nuit.
8. J'abattrai ton ennemi, ô excellent ascète, suivant ton désir. — Ainsi parla le roi ; mais l'ascète répliqua.
9. Personne autre que Ràma n'est de force, en ce monde, à lutter contre ce Rakshas. Fusses-tu le protecteur des Dieux, au milieu des combats;
10. Tes exploits fussent-ils connus des trois mondes, ô prince; toute puissante que soit ton armée, demeure ici, ô fléau de tes ennemis.
11. Cet adolescent, doué d'une grande énergie, suffira à le dompter. Je m'en vais donc et j'emmène Rama; porte-toi bien, fléau de tes ennemis.
12. Ayant ainsi parlé, l'ascète Viçvàmitra prit le fils du roi et s'en re- tourna, plein de joie, dans son ermitage.
HO RAMAYANA
13. Pendant que dans la forêt Dandaka il accomplissait le sacrifice litur- gique, Râma se tenait près de (l'ascète), son merveilleux arc bandé.
14. Encore impubère, le fortuné adolescent, au teint foncé, au regard brillant, vêtu d'une simple tunique, armé de son arc, ses cheveux relevés en touffe, avec sa guirlande en or,
15. Illuminait la forêt Dandaka de son éblouissante splendeur. Râma ressemblait à la nouvelle lune, lorsqu'elle se lève.
16. A ce moment, moi qui brillais comme la nuée et qui portais des anneaux d'or, plein de force et fier du privilège que j'avais reçu, je péné- trai dans l'intérieur de l'ermitage.
17. 11 m'aperçut aussitôt que je fus entré, brandissant mon arme. A ma vue, sans se troubler, il banda son arc.
18. Je dédaignai Râghava dans ma folie : — C'est un enfant, me dis-je, et je me précipitai vers l'autel où se tenait Vipvâmitra.
19. Ràma alors me décocha un trait acéré, fatal à ses ennemis. Il m'attei- gnit et me lança dans la mer, à cent Yojanas (de distance).
20. Le vaillant Rama ne voulut pas me tuer, cher ami; il m'épargna; (mais), accablé par la violence du coup, je demeurai privé de senti- ment.
21. Je fus ainsi jeté par lui dans les eaux profondes de l'Océan. Lorsque j'eus repris mes sens, longtemps après, je m'en retournai à Lanka.
22. Voilà comment je me sauvai. Mes compagnons avaient été renversés par Râma aux exploits impérissables, jeune (alors), et qui n'avait pas (en- core) fait ses (premières) armes.
23. Si, malgré moi, tu commets cet attentat contre lui, tu t'attireras un châtiment terrible et prompt, sans pouvoir échapper.
24. Les Rakshas qui ne connaissent qu'amusements et plaisirs de (toute) sorte, qui ne rêvent qu'assemblées et fêtes, tu les plongeras dans l'infor- tune, sans aucun profit.
25. Avec les palais et les temples dont elle est remplie, les joyaux de toute espèce qui la décorent, la ville de Lanka sera détruite, sous tes yeux, à cause de Mailhilî.
26. Bien qu'ils ne fassent pas le mal, les honnêtes gens, par leur (seul) contact avec les pervers, sont punis pour les crimes d'autrui, comme les poissons dans un étang (plein) de serpents.
27. Les membres parfumés d'un divin santal, parés de célestes orne- ments, tu verras les Râkshasas gisant sur le sol par la faute.
RAMAYANA 111
28. Les survivants des rôdeurs de nuit, tu les verras, leurs épouses tuées, ou accompagnés d'elles, fuir de dix côtés, sans asile.
29. Accablée sous une grêle de traits, environnée de flammes, ses mai- sons incendiées, (ainsi) t'apparaîtra Lanka, très certainement.
30. Fréquenter les femmes des autres, il n'y a point de faute plus grande. Tu as des milliers de courtisanes à ta suite, ô prince.
31. Contente-toi de tes épouses; sauvegarde ta famille, les Ràkshasas, ton honneur, ta prospérité, ton royaume et la précieuse existence.
32. Si tu veux jouir longtemps de la douce (société) de tes femmes et de tes nombreux amis, ne fais pas d'insulte à Ràma.
33. Si, malgré mes objurgations amicales, tu enlèves Sîtâ de force, lu descendras avec ton armée détruite et tes parents au séjour de Yama, sous les traits meurtriers de Rama.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le trente- huitième Sarga de VAranyakânda.
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SARGA XXXIX
xMARICA INSISTE AUPRES DE RAVANA POUR LE DETOURNER DE SON PROJET
1. Voilà donc comment j'échappai, dans ma (première) rencontre avec Rama ; maintenant, écoute ce qui arriva plus tard.
2. Cette (aventure) ne me découragea point; et, accompagné de deux Râkshasas, déguisés (comme moi) en gazelles, je pénétrai dans la forêt Dandaka.
3. La langue ardente, les dents énormes, les cornes aiguës, plein de vi- gueur, je parcourais la forêt Dandaka, me nourrissant de chairs, sous la forme d'une grande gazelle.
4. Au milieu des Agnihotras, des Tîrlhas, des arbres sacrés, ô Ràvana, je me promenais, semant l'effroi chez les ascètes que je persécutais.
5. Je mettais à mort, dans la forêt Dandaka, les solitaires vertueux, buvant leur sang et dévorant leurs chairs.
6. Je mangeais la chair des Rïshis; ma cruauté me rendit la terreur des habitants de la forêt. Enivré de sang, j'errais (un jour) par les bois de Dan- daka.
7. Pendant que j'errais dans les bois de Dandaka, [outrageant le bon droit, je rencontrai Rama, vivant en solitaire dans la pratique du devoir,
8. Vaidehî, la bienheureuse, et Lakshmana au grand char, observant (lui aussi) l'ascétisme, le jeûne, et se plaisant à obliger tous les êtres.
9. J'eus du mépris pour le tout-puissant Râma, retiré dans la forêt. Le voilà (devenu) ermite, (pensai-je) en le reconnaissant, et je me rappelai notre première rencontre.
10. Je me ruai sur lui, furieux, les cornes pointues, sous ma forme de gazelle, désireux de le tuer, dans ma démence, au souvenir de ma défaite.
RAMAYANA 113
11. 11 banda son arc énorme et décocha trois flèches acérées, aux at- teintes mortelles, rapides comme Suparna et Anila.
12. Ces traits, pareils à la foudre, terribles, avides de sang, aux nœuds adoucis, partirent ensemble tous trois.
13. Connaissant la vaillance de Râma, dans mon adresse, à la vue du péril, je m'élançai en avant, et j'échappai ; les deux (autres) Râkshasas (lurent) tués.
14. A grand'peine j'évitai le trait de Râma et je sauvai ma vie. C'est alors que je me retirai ici, pour y pratiquer le Yoga, l'ascétisme et le re- cueillement.
lo. Dans chaque arbre je vois, revêtu d'écorce et d'une peau d'antilope noire, armé de son arc, Rama comme (un autre) Antaka, son filet à la main.
16. C'est même des milliers de Râmas que, dans ma terreur, je (crois) apercevoir, ô Râvana. Toute la forêt me paraît transformée en Râma.
17. J'aperçois Râma, même dans les lieux déserts, ô maître des Râksha- sas. Je le vois dans mon sommeil, et je suis comme tout effrayé lorsque je reprends conscience de moi-même.
18. Je redoute Râma (au point que) les mots qui commencent par la syl- labe ra, ô Râvana, (comme) Ratna et Ratha, me causent de l'épou- vante.
19. Je connais sa force ; tu ne saurais lutter avec lui. Râli, Namuci, eux- mêmes, succomberaient devant le descendant de Raghu.
20. Engage la lutte avec Râma, ou fais la paix (avec lui), ù Râvana ; mais ne (me) parle plus de lui, si tu tiens à me voir.
21. Il est, dans le monde, un grand nombre d'honnêtes gens pratiquant le Yoga, appliqués au devoir, qui par la faute d'aulrui périssent avec (tout) leur entourage.
22. Je périrais moi (aussi) par la faute d'un autre, ô rôdeur de nuit. Ce qui te semble bon, fais-le, mais je ne t'accompagnerai certainement pas.
23. Râma, en effet, plein d'énergie, de valeur et de force, deviendrait le destructeur du monde des Râkshasas.
24. Si Khara, précédemment, à cause de Çûrpanakhâ, est allé au Jana- sthâna pour y succomber sous les coups de Râma aux exploits impérissables, là, avoue sincèrement, quelle (n')est donc (pas) la supériorité de Râma?
25. Ce langage qui m'est dicté par le désir que j'ai d'être utile à mes con-
i. s
114
RAMAYANA
génères, si tu n'en tiens pas compte, tu périras, avec tes gens, dans la lutte que tu vas engager avec Rama, percé de ses traits infaillibles.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki le Rïshi,
Le trente-neuvième Sarga de VAranyakânda.
SARGA XL
COLERE DE RAVANA
1. Celle parole de Mârîca, opportune et judicieuse, Râvana la repoussa, comme celui qui veut mourir (repousse) le remède.
2. A ce discours salutaire et utile de Mârîca, le chef des Râkshasas, poussé par Kâla, fit une réponse brutale, insensée.
3. Infâme Mârîca, tu me tiens un langage indigne (et certes) fort inutile, comme la semence jetée dans un Ukhara.
4. Tes paroles ne sauraient me détourner de combattre Râma, vu sur_ tout qu'il n'est qu'un fol et misérable homme.
5. Il a quitté amis, royaume, mère et père, pour obéir à une femme de rien, et se retirer en toute hâte dans la forêt.
6. Lui qui a tué Khara dans le combat, je vais sans faute lui enlever, en ta présence, Sîlâ qui lui est plus chère que la vie.
7. Telle est la résolution que je forme dans mon âme, ô Mârîca. Nu| ne pourra l'en arracher, pas même les Suras et les Asuras avec leurs In- dras.
8. Interrogé au sujet de cette affaire, il te faut en dire les inconvénients ou les avantages, ce qui peut lui nuire ou lui servir sûrement.
9. En effet, questionné par son roi qui cherche son propre intérêt, un ministre sage répond debout, en faisant l'Anjali.
10. Il tient à son monarque un langage soumis, délicat avant tout, élo- quent, avantageux, conforme à sa situation.
11. Mais un discours morose, même utile, ne plaira pas au roi, soucieux de sa dignité qu'il blesse.
12. Les rois, dont la puissance est sans mesure, revêtent cinq formes : (ce sont celles) d'Agni, d'Indra, de Soma, de Yama et de Varuna.
116 RAMAYANA
13. L'ardeur, l'héroïsme, la douceur, le châtiment, la clémence : (voilà les formes que) revêtent les magnanimes souverains, ô rôdeur de nuit.
14. Aussi, en toute circonstance, doivent-ils toujours être honorés et révérés ; mais toi, oublieux de ton devoir, tu ne montres qu'arrogance,
15. Toi qui m'accueilles, dans ta méchanceté, par de tels outrages. Je ne te consulte plus sur ce qui m'est utile, nuisible ou funeste, ô Râkshasa.
1G. Je ne te demande qu'une chose, ô toi dont l'audace est sans limite : dans cette entreprise il te faut m'aider.
17. Apprends la façon dont tu dois m'appuyer. Transformé en gazelle d'or, au pelage moucheté d'argent,
18. Promène-toi dans l'ermitage de ce Râma, devant Sîlâ. Séduis la princesse du Videha, suivant mon désir, par ton allure.
19. Ente voyant ainsi devenu par la magie (gazelle) d'or, émerveillée : — Amène-la-moi, — dira aussitôt Maithilî à Râma.
20. Lorsque Kâkutstha sera loin, en courant (après toi), crie : — Oh! Sîtâ, Lakshmana ! — imitant sa voix.
21. A cet appel, et pressé par Sîlâ, Saumitri, troublé dans son affection (fraternelle), s'élancera sur les traces de Râma.
22. Kâkutstha et Lakshmana étant éloignés à souhait, j'enlèverai Yaideliî, comme le dieu aux mille yeux, Çacî.
23. Accomplis celte mission suivant mon désir, et va, ô Râkshasa. Je te donnerai la moitié de mon royaume, ô vertueux Mârîca.
24. Prends, ami, l'heureuse voie (qui conduira) au succès de cette entre- prise. Je te suivrai avec mon char dans la forêt Dandaka.
2o. Après m'être emparé de Sîtâ sans combat, en trompant Râghava,je m'en retournerai à Lanka, mon but atteint, avec toi.
20. Si tu ne m'obéis pas, Mârîca, je te tue sur place. Celte mission qui t'incombe, je te forcerai au besoin de la remplir. Se buter contre la volonté de son roi ne porte pas bonheur.
27. En t'approchant de cet (homme), tu risques ta vie ; mais une mort certaine, immédiate, t'attend si tu me résistes. Examine, dans la sagesse, ce qui t'est (le plus) avantageux et agis en conséquence.
Tel est, dans le vénérable Ràmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quarantième Sarga de l'Aranyakânda.
SA KG A XLI
RECRIMINATIONS DE MARICA
1. Placé dans celle alternative par l'impérieux Râvana, le chef des Râksha- sas, (Mârîca) lui répondit, d'un ton sévère et ferme.
2. Quel est donc le pervers qui a décidé ainsi ta perte, avec celle de tes enfants, de ton royaume et de tes ministres, ô rôdeur de nuit?
3. Quel est donc le méchant que ton bonheur offusque, ô roi? Quel per- fide t'ouvre ainsi la porte de la mort?
4. Ce sont certainement tes ennemis qui, dans leur impuissance, ô rô- deur de nuit, projettent de te faire tomber sous les coups d'un (adversaire) supérieur en force.
5. Quel est donc ce misérable, ce mal intentionné qui te pousse ainsi à te perdre toi-même, ô noctambule?
6. Ils sont dignes de mort, certes, (et cependant) ils vivent toujours, tes conseillers, ô Râvana, qui ne t'arrêtent pas à tout prix dans la voie funeste où tu t'engages.
7. Un roi qui, cédant à ses passions, entre dans une mauvaise voie, doit être à tout prix arrêté par ses ministres vertueux. Toi qu'on devrait dé- tourner (de ton fatal dessein), on ne t'en détourne pas !
8. Juslice, profit, plaisir et gloire, ô le plus illustre des vainqueurs, ô rôdeur de nuit, les conseillers trouvent (tout) dans la bonté de leur maître.
9. Autrement, tout cela devient sans objet, ô Râvana. Avec un chef sans vertus, les autres hommes n'éprouvent qu'infortune.
10. La loi et la gloire ont pour racine le roi, ô le premier des triompha- teurs ; c'est pourquoi en toute occurrence, il faut veiller au salut des souve- rains.
118 RAMAYANA
il. Un rc^aume ne saurait se maintenir (sous un prince) violent, ô rô- deur de nuit, autoritaire à l'excès, intempérant, ô Râkshasa !
12. Les ministres qui conseillent la violence au roi, tombent avec lui; tels des chars précipités dans l'abîme, avec leurs conducteurs insensés.
13. Un grand nombre de gens de bien, en ce monde, appliqués à leurs devoirs d'état, par la faute d'auirui périssent avec leur entourage.
14. Les sujets d'un prince despote et brutal, ô Râvana, ne prospèrent pas; ce sont des gazelles (gardées) par un chacal.
15. Ils périront infailliblement tous, ô Râvana, les Râkshasas qui ont un roi tel que toi, dur, pervers, esclave de ses sens.
16. C'est une calamité inattendue qui fond sur moi; toutefois tu es à plaindre, toi qui vas périr avec ton armée.
17. Après m'avoir frappé, ce Râma t'aura vite abattu (toi-même). Je mourrai, ma mission remplie, sous les coups de ton adversaire.
18. L'approche de Râma me sera fatale, sache-le ; mais apprends aussi que le rapt de Sîtâ te coûtera la vie ainsi qu'aux tiens.
19. Si tu enlèves Sîtâ de son ermitage, avec mon aide, c'en est fait de toi, de moi, de Lanka et des Râkshasas.
20. Cependant, contrarié (dans ton dessein), tu ne souffres pas le lan- gage que m'inspire le désir de t'être utile ; car les hommes qui sont voués à la mort, dont l'existence prend fin, n'écoutent pas les avis salutaires qu'ils reçoivent de leurs amis.
Tel est, dans le vénérable Ràmàyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quarante et unième Sarga de l'Aranyakânda.
SARGA XLII
MARICA, DEGUISE EN GAZELLE, SE PROMENE DANS L ERMITAGE DE RAMA
\ . Après avoir adressé à Ràvana ces paroles sévères : Partons, dit l'in- fortuné Mârîca, effrayé parle chef des coureurs de nuit.
2. Lorsqu'il me reverra, ce (guerrier) pourvu de flèches, d'un arc et d'un glaive, armes qu'il brandira pour ma perte, c'en sera fait de ma vie.
3. Non certes, celui qui brave Râma ne s'en retourne pas vivant. Il est pour toi le sceptre de Yama : tu tomberas sous ses coups.
4. Quel secours donc peut tirer de moi ta perversité? Cependant je pars, camarade, sois heureux, ô rôdeur de nuit.
5. Tout joyeux à cette parole, le Râkshasa, embrassant (Mârîca), lui dit d'un ton extrêmement radouci.
6. Cette générosité te sied ; maintenant que tu es disposé à faire ma vo- lonté, tu redeviens Mârîca; précédemment (c'était) un autre Râkshasa (qui me parlait).
7. Monte vite près de moi dans ce char ailé, incrusté de diamants, at- telé d'ânes aux têtes de Piçâcas.
8. Après avoir captivé (les regards de) Vaîdehî, conformément à ma volonté, tu t'échapperas; et alors, demeurée seule, je l'enlèverai de force, cette Sîtâ, princesse de Mithilâ.
9. — Soit — , répondit à Râvana le fils de Tâtakâ. Puis Râvana et Mâ- rîca, montant sur ce véhicule semblable à un char divin,
10. S'éloignèrent en toute hâte de cette enceinte solitaire. Ils voyaient (défiler) les villages et les forêts,
11. Tous les monts et les rivières, les empires et les cités. Us atteignirent la forêt Dandaka, et l'ermitage de Râghava
12. Apparut à Râvana, le roi des Râkshasas, accompagné de Mârîca. Descendant de son char doré,
120 RAMAYANA
13. Il prit Mârîca par la main et lui dit : Voilà l'ermitage de Râma om- bragé de Kadalîs.
14. Fais vile, ami, ce pour quoi nous sommes venus. — A ces mots de Râvana, le Râkshasa Mârîca,
15. Transformé en gazelle, se promena à l'entrée de l'ermitage de Râma. Il avait revêtu une forme colossale, merveilleuse à voir.
16. Le bout de ses cornes étaitfde pierres précieuses; l'aspect de sa tête était blanc et noir; sa bouche ressemblait à un lotus rouge et bleu et ses oreilles à deux Utpalas d'azur.
17. Le cou très allongé, son ventre avait la couleur du saphir, ses flancs l'éclat (de la fleur) du Madhûka; il brillait comme l'étamine du Kanja.
18. Ses sabots avaient la teinte de l'émeraude ; il avait les jambes fines ; il était bien proportionné ; sur sa croupe éclataient (les couleurs de) l'arc- en-ciel.
19. Dans un instant, le Râkshasa devint une gazelle ravissante, aux nuances chatoyantes, parée de joyaux de toute sorte, d'une extrême beauté.
20. La forêt et la charmante retraite de Râma furent remplies de clarté par la forme, admirable avoir, qu'avait revêtue le Râkshasa,
21. Pour séduire Vaidehî de ses nombreux reflets métalliques. 11 s'en allait de tous côtés, au milieu des gazons et des pelouses.
22. Les taches d'argent qui par centaines mouchetaient (son pelage) le rendaient ravissant. Il errait en broutant les pousses d'arbres.
23. Il approcha du berceau de Kadalîs, se promenant lentement parmi les Karnikâras, çà et là, dans l'ermitage, à (portée de) la vue de Sîtâ.
24. Le dos aux teintes variées du Râjîva, cette colossale antilope, étin- celante (de beauté), errait capricieuse, dans le voisinage de la solitude de Râma.
25. Elle allait et venait, la gazelle ravissante; elle s'éloignait rapide, pendant un instant, puis elle se rapprochait.
26. Tantôt elle gambadait, tantôt elle se couchait par terre. Elle se pro- menait à l'entrée de l'ermitage, à la suite de troupeaux de gazelles ;
27. D'autres fois elle revenait à la tête de ces mêmes troupeaux. Il cher- chait à attirer l'attention de Sîtâ, le Râkshasa devenu gazelle.
28. Il décrivit ainsi de nombreux circuits en prenant ses ébats. Cepen- dant, à son aspect, toutes les autres gazelles de la forêt
29. S'approchaient pour le flairer, puis elles s'échappaient dans toutes les directions. Le Râkshasa, qui se plaisait à détruire les gazelles,
RAMAYANA 121
30. Pour ne pas dévoiler sa nature, s'abstenait de dévorer celles de la forêt avec lesquelles il était en contact. Pendant ce temps, Vaidehi au re- gard brillant,
31. Attentive à cueillir des fleurs, se récréait au milieu des arbres, des Karnikâras, des Açokas et des Cûtas, qui enchantaient sa vue.
32. Tandis qu'elle se promenait ainsi, en cueillant des fleurs, cette (prin- cesse) au gracieux visage, qui ne méritait point d'être exilée dans une fo- rêt, la gazelle, faite de pierres précieuses,
33. Dont les divers membres étaient des perles et des bijoux, apparut à ses regards. (Sîtà) au corps merveilleux, à l'aspect de cet (animal) aux dents et aux lèvres charmantes, aux poils (couleur) d'argent et (autres) métaux (précieux),
34. Ouvrit les yeux tout grands de surprise et de joie. De son côté, la gazelle fantastique, voyant la bien-aimée de Râma,
35. (Continua) d'errer de çà, delà, illuminant la forêt. En apercevant une gazelle, comme on n'en avait jamais vu, faite de joyaux de toute sorte, Sîtà, la fille de Janaka, fut extrêmement surprise.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vàlmîki, le Rïshi,
Le quarante-deuxième Sarga de ï Aranyakânda.
DLQ.an
SARGA XI11L
RAVISSEMENT DE SITA A LA VUE DE LA GAZELLE
1. Lorsque, tout en cueillant des fleurs, (Sîlâ) aux belles hanches aperçut cette (gazelle) éblouissante avec ses flancs couleur d'or et d'argent,
2. Joyeuse, (la jeune femme) dont le corps était sans défaut et le teint pareil à l'or affiné, appela son mari et Lakshmana, muni de ses armes.
3. Elle se mit à crier, à crier encore, tout en contemplant la gazelle avec plaisir: — Viens, viens vite, prince, avec ton jeune frère.
4. A l'appel de Vaidehî, les deux tigres des hommes, Ràma et Lakshmana, jetèrent les yeux dans cette direction et aperçurent la gazelle.
5. Se cloutant à celte vue (de la vérité), Lakshmana dit : Je suis per- suadé que c'est le Ràkshasa Màrîca transformé en gazelle.
6. Les princes qui lui font la chasse, attirés dans la forêt par ce perfide déguisement, il les tue, ô Rama, grâce à cette forme trompeuse.
7. C'est un tour de ce magicien, ô tigre des héros, que l'apparition de cette gazelle brillante, dont l'éclat (rivalise avec celui) de la ville des Gandharvas.
8. Une antilope de ce genre, étincelante de pierreries, il n'en est pas en ce monde, ô Râghava, chef de l'univers ; c'est une illusion, il n'y a pas de doute.
9. Interrompant le Kâkutslha qui parlait de la sorte, Sîtâ dit avec un gra- cieux sourire, l'esprit fasciné par la trompeuse image :
10. O fils de prince, cette merveilleuse gazelle me ravit l'âme. Amène-la, ô puissant guerrier, elle nous servira de jouet.
H. Ici, dans notre solitude, errent par bandes nombreuses des bêtes fauves belles à voir. Yaks, Srïmaras,
RAM A Y AN A
123
12. Rïkshas, troupes de Prïshatas, Vânaras, Kinnaras s'y éballent, héros aux grands bras, pleins de grâce et de force.
13. Je n'ai jamais vu, ô prince, une bête fauve qui, pour l'agilité, la douceur et l'éclat, fût pareille à cette gazelle merveilleuse.
14. Avec son beau corps aux teintes multiples, fait de pierreries, elle illumine devant moi la forêt tout entière de son éclat semblable à celui de la lune.
15. Oh! quelle beauté! quelle splendeur! quelle voix harmonieuse! quel éclat ! Cette merveille de gazelle, avec ses membres pleins de grâce, me met comme hors de moi.
16. Si tu parviens à t'emparer d'elle vivante, c'est à souhait ; on en sera étonné.
17. Alors notre exil fini, lorsque nous serons réintégrés dans notre royaume, cette gazelle fera l'ornement du gynécée.
18. Le prince Bharata et mes belles-mères, ô Seigneur, à l'aspect de cette gazelle divinement belle, seront surpris.
19. Si tu ne peux t'emparer de cette merveilleuse gazelle vivante, sa fourrure, tigre des hommes, sera précieuse.
20. Une fois l'animal tué, j'aimerai à m'asseoir sur sa peau d'or étendue sur un coussin dé gazon.
21. Ce violent désir est cruel et ne convient pas aux femmes ; mais la beauté de cet animal excite mon admiration — .
22. Cet (être) gracieux, au pelage d'or, aux cornes de pierres précieuses, brillant comme un lever de soleil, lumineux comme une voie stellaire,
23. Jeta Râghava lui-même dans le ravissement. A ces paroles de Sîtâ et à l'aspect de la gazelle merveilleuse,
24. Captivé par la beauté de celle-ci et cédant aux instances de celle-là, Râghava dit gaîment à son frère Lakshmana.
25. Vois, Lakshmana, comme la convoitise de Vaidehî est allumée! Grâce à sa beauté suprême, cette gazelle aujourd'hui ne sera plus.
26. Ni dans la forêt, dans la région du Nandana, ni dans la solitude du Caitraratha, dans quel endroit de la terre, ô Saumitri, existe-t-il une gazelle semblable?
27. (Considérée) à rebrousse-poils ou autrement, la robe veloutée et rayée de cette gazelle est toute luisante avec ses jolies mouchetures d'or.
28. Vois, lorsqu'elle l'ouvre, pendre de sa bouche une langue ardente comme la flamme d'un brasier, et pareille à l'éclair au sortir du nuage !
124 RAMAYANA
29. Avec sa tète d'émeraude et de cristal, son ventre brillant comme la nacre et la perle, de qui donc ne ravirait-elle l'esprit, cette gazelle d'une beauté indescriptible?
30. Qui donc, à l'aspect de cette forme céleste, où l'or étincelle, com- posée de toutes sortes de joyaux, ne serait transporté d'admiration?
31. C'est pour leur nourriture ou leur amusement que les princes, l'arc à la main, ô Lakshmana, chassent les fauves dans les grandes forêts.
32. Des richesses sont à dessein entassées dans les grands bois, et même des trésors de toute sorte, perles, diamants, or;
33. Tous ces biens sont destinés à augmenter l'avoir des hommes, tout ce qu'a pu imaginer l'esprit de Çukra, ô Lakshmana.
34. L'homme industrieux, l'œuvre utile qu'il accomplit sans hésiter, les gens d'expérience, versés dans les traités pratiques, la préconisent, mon cher Lakshmana.
35. L'excellente peau d'or de ce joyau de gazelle, Vaidehî, à la taille élé- gante, s'assiéra dessus près de moi.
36. Ni toison de Kadalî, de Priyaka, de Pravena, ou de brebis ne lui est comparable pour le moelleux, j'en suis persuadé.
37. Cette gazelle brillante et la (gazelje) stellaire qui se promène dans l'espace : toutes deux sont divines, celle du ciel et celle de la terre.
38. Mais si cet animal est ce que tu me dis, Lakshmana, un travestisse- ment du Ràkshasa, je le tuerai.
39. Cet homicide Mârîca, esclave de ses passions, qui erre dans la forêt, massacrait précédemment les taureaux d'entre les ascètes.
40. De nombreux rois, partis à la chasse, 'armés de leurs grands arcs, ont péri sous ses coups ; tuons donc cette gazelle.
41. Autrefois, ici même, Vâtâpi tourmentait les ascètes. Il descendait dans leur ventre et les tuait, (lorsqu'il en sortait), comme l'embryon de la mule.
42. Un jour, au bout d'un long espace de temps, il rencontra, en ce monde, le grand Muni Agastya doué de Tejas, à qui (son frère Ilvala) le servit à manger.
43. A la fin (du repas), voyant qu'il désirait reprendre sa forme, le Bien- heureux lui dit en souriant.
44. — Puisque sans y penser, ô Vâtâpi, d'excellents Deux-fois-nés, dans ce monde des êtres, ont été victimes de ton Tejas, tu vas être digéré. —
45. Ce Rakshas ne subsistera non plus que Vâtâpi, ô Lakshmana, pour
RAMAYANA 12..
avoir bravé un homme tel que moi, affermi dans le devoir et maître de ses sens.
46. Il mourra pour m'avoir rencontré, comme Vâlâpi (pour avoir ren- contré) Agastya. Toi, reste ici, sans bouger, veille soigneusement sur Maithilî.
47. C'est un devoir qui nous incombe, ô joie de Raghu. Moi, je tuerai cette gazelle ou je la prendrai (vivante).
48. Jusqu'à ce que je ne revienne avec la gazelle que je lui amènerai sans tarder, (reste auprès de Sîtâ). O fils de Sumilrà, Lakshmana, vois comme Vaidehî en désire la fourrure.
49. Sa peau superbe lui coûtera aujourd'hui la vie. Veille incessamment dans l'ermitage surSîtâ,
50. Jusqu'à ce que, d'un trait, je n'aie abattu la gazelle tachetée. Après l'avoir tuée, je prendrai sa peau et je reviendrai au plus vite, Lakshmana.
51. Avec l'oiseau Jatâyus, plein d'expérience, de force et de sagesse, ô Lakshmana, aie bien soin de Maithilî et sois toujours et de tout côté sui- tes gardes.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quarante-troisième Sarga de VAranyukânda.
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SARGA XL1V
RAMA TUE MARIGA
1. Après avoir fait celte recommandation à son frère, le (héros), joie de Raghu, au grand Tejas, ceignit son épée dont la garde était d'or.
2. Il prit son arc à la triple courbure, qui lui servait de personnel insigne, et suspendit (à ses épaules) deux carquois pleins (de flèches) ; puis il s'éloi- gna à grands pas.
3. Le roi des fauves, voyant avancer Mndra des rois, se rendit invisible, dans son épouvante, puis il se montra de nouveau.
4. Ceint de son épée, l'arc à la main, (Râma) s'élança dans la direction de la gazelle; il l'apercevait éblouissante de beauté, comme devant (ses pas).
5. L'arc à la main, il avait toujours les yeux attachés sur elle, tandis qu'elle courait dans la vaste forêt. Elle s'éloignait d'un bond, lorsque pour le tromper (elle se laissait approcher) parfois.
6. Craintive, affolée, elle semblait s'élancer dans l'air; (elle était) tantôt visible, et tantôt invisible, au milieu des fourrés,
7. Comme, pendant l'automne, le disque de la lune sur lequel passent des nuages épars ; tantôt elle brillait (de tout son éclat), tantôt elle n'apparais- sait plus que dans le lointain.
8. Par ses apparitions et ses disparitions successives, Mârîca, sous son travestissement d'antilope, entraîna Râghava loin de son ermitage.
9. Kâkutstha était furieux de se voir ainsi déçu, quoi qu'il fît. Parfois, feignant une fatigue excessive, le coureur de nuit, transformé en gazelle, se couchait sur le gazon,
10. Pour le tromper, ou bien, entouré d'autres gazelles, il se montrait à peu de distance ;
RAMAYANA 127
li. Puis, lorsqu'il le voyait sur le point de se saisir de lui, il s'échappait de plus belle, et soudain, dans sa frayeur, il se rendait de nouveau invi- sible,
12. Pour reparaître ensuite au loin, en dehors des fourrés, aux yeux du puissant Râma, acharné à sa perte.
13. Plus irrité que jamais, Râghava prit alors un trait brillant comme un rayon de soleil, flamboyant, aux atteintes mortelles.
14. El l'assujettissant solidement sur son arc qu'il banda avec force, le vigoureux (prince) le décocha sur la gazelle, pareil à un serpent de flamme.
15. Il lui lança le trait embrasé, brûlant, façonné par Brahmâ. Le dard prodigieux, pareil à un carreau de foudre, perça
16. Le cœur de Mârîca transformé en gazelle. Le (Râkshasa) fit un bond d'un Tàla et retomba grièvement blessé.
17. Il poussa un cri terrible (et demeura) étendu sur le sol, n'ayant plus que peu d'instants à vivre. En mourant, Mârîca quitta son corps d'em- prunt.
18. 11 se souvint de la parole de Râvana et réfléchit au moyen de dé- cider Sitâ à renvoyer Lakshmana, afin que Râvana (profitât) de son isole- ment pour l'enlever.
19. Il sentit que le moment était arrivé et s'écria en imitant la voix de Râghava : Ah ! Sitâ! Lakshmana !
20. Atteint, en plein cœur, par ce dard sans égal, il avait dépouillé sa forme de gazelle, pour reprendre celle de Râkshasa.
2i. Ainsi fit Mârîca à la taille colossale, en perdant la vie. A la vue du Râkshasa gisant à terre, l'aspect formidable,
22. Les membres couverts de sang, qui se débattait sur le sol, Râma re- porta sa pensée sur Sîlâ et se rappela le mot de Lakshmana.
23. L'illusion produite par Mârîca, dont m'avait précédemment parlé Lakshmana, c'était bien celle-là, et c'est Mârîca que j'ai tué.
24. — Ah! Sîtâ! Lakshmana! — ce grand cri poussé par le Râkshasa moribond, que va faire Sîtâ en l'entendant?
25. Et Lakshmana aux grands bras, dans quelle situation va-t-il se trouver? — Ainsi pensait le vertueux Râma dont les poils s'étaient hé- rissés.
20. Alors une angoisse poignante s'empara de lui et le bouleversa, lors- qu'il eut tué ce Râkshasa déguisé en gazelle et qu'il eut entendu ce cri.
128
RAMAYANA
27. Après avoir aballu une autre gazelle mouchetée et pris sa chair, Râghava s'élança en toute hâte et tout droit vers le Janasthâna.
Tel est, dans le vénérable Râmâyana,
Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rïshi,
Le quarante-quatrième Sarga de VAranyakânda.
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SARGA XLV
SITA ENVOIE LAKSHMANA AU SECOURS DE RAMA
1. Lorsqu'elle entendit ce cri de détresse qui lui semblait poussé par son époux, Sîlâ dit à Lakshmana : Pars, (ne) reconnais-tu (pas) Râghava?
2. Non, je ne vis plus, mon cœur n'est plus à sa place. (Rama) est dans un péril extrême pour avoir jeté le cri que j'ai entendu.
3. Sauve ton frère qui fait retentir la forêt de son appel. Cours vite: il réclame de l'aide.
4. II est tombé au pouvoir des Rakshas, comme un taureau parmi des lions. — (Lakshmana) cependant résistait à ses instances : il se souvenait de l'ordre de Râma.
5. Indignée, la fille de Janaka lui dit alors : 0 Saumitri, sous les dehors de l'affection lu te montres l'ennemi de ton frère,
6. Puisque, dans une telle situation, tu ne voles pas à son secours. Tu désires à cause de moi, ô Lakshmana, que Râma périsse.
7. Dans ta passion pour moi, tu refuses de secourir Râghava. Sa perte te plaît, je le vois; tu n'aimes point ton frère.
8. C'est pour cela que tu demeures tranquille, sans égard pour ce (prince) illustre. Lorsqu'il est en danger, qu'importe ici mon existence?
9. C'est à cause de lui que tu es venu. — Ainsi parla Vaidehî en larmes, accablée de douleur.
10. Lakshmana répondit à Sîtâ, tremblante comme une (timide) gazelle. — Serpents, Asuras, Gandharvas, Dévas, Dânavas, Ràkshasas,
11. Nul ne saurait vaincre ton époux, ô Vaidehî, sans aucun doute. O princesse, parmi les Dieux et les hommes, les Gandharvas, les oiseaux,
\'2. Les Ràkshasas, les Piçâcas, les Kinnaras, les fauves et les Dânavas redoutables, il n'en est pas, ô belle,
il !»
130 RAMAYANA
13. Qui puisse résister, dans la lutte, à Râma, l'égal de Vâsava. Il est in- vulnérable, Râma; ne parle donc pas ainsi.
14. Je ne puis te laisser, dans cette forêt, sans Râghava dont la vaillance défie celle des plus vaillants,
15. Les trois inondes le combattraient-ils avec leurs chefs et les Immor- tels eux-mêmes. Que ton cœur~se calme. Bannis toute inquiétude.
16. Ton époux reviendra sans tarder, après avoir tué la gazelle mer- veilleuse ; cette voix n'est certainement pas la sienne, ni celle d'une divi- nité.
17. C'est une illusion pareille à la ville des Gandharvas, et (produite) par ce Rakshas. Tu es un dépôt, Vaidehî, que m'a confié le magnanime
18. Râma, femme aux belles hanches; je ne puis donc te laisser ici. Nous sommes en butte à la haine de ces rôdeurs de nuit, charmante prin- cesse,
19. Depuis le meurtre de Khara et le massacre du Janasthâna. Les Râkshasas poussent toutes sortes de clameurs, dans la grande forêt,
20. Et se plaisent à faire le mal. 0 Vaidehî, sois sans inquiétude. — À ces mots, (Sîtâ), les yeux étincelanls de colère,
21. Répondit durement au loyal Lakshmana : — Vilain, aux desseins perfides, méchant, l'opprobre de ta race,
22. Tu te plais, je le vois, dans la grande infortune de Râma; c'est en présence de son malheur que tu tiens ce langage.
23. Mais il n'est pas étrange de trouver de la méchanceté, ô Lakshmana, chez des ennemis tels que toi, pervers et procédant toujours par des voies cachées.
24. C'est par un raffinement de perfidie que tu as accompagné Râma, seul à seul, dans la forêt. C'est à cause de moi que tu as usé de dissimula- lion, ou d'accord avec Bharata.
25. Il ne réussira pas, Saumitri, (ce projet), qu'il (vienne) de toi ou de Bharata. Comment Râma, au teint foncé de l'Indîvara, aux yeux de lotus,
26. Après l'avoir eu comme époux, aimerais-je un homme de rien? Plu- tôt mourir en ta présence, Saumitri,